VOYAGE DANS LE PASSÉ: souvenir d’une vengeance
Ce matin, dans l’ascenseur du centre commercial de Montreux, m’est revenu à l’esprit un “fait divers” vécu quand j’étais en apprentissage. C’est en voyant deux punaises d’à peine 15 ans qui prenaient l’ascenseur pour monter UN étage que l’histoire m’est revenue…
Dans ma tête, ça a fait “tilt” et je me suis souvenu d’un jour où, tout jeune apprenti, j’attendais l’ascenseur pour monter les cinq étages où se trouvaient les bureaux. Ce n’étaient pas de ces étages modernes d’à peine deux mètres cinquante de haut, mais de bons vieux étages de plus de trois mètres cinquante, comme on en trouve encore dans les anciens immeubles.
Tour autour de l’ascenseur, une large cage d’escaliers avec de belles marches en marbre donnait accès aux étages. C’était encore une installation qui datait du début du siècle et la cabine avait une porte qu’on faisait coulisser à la main. Tout en montant ou descendant on pouvait voir à travers les cloisons faites d’un solide grillage.
On était en d’été, la température était suffocante et j’étais trempé comme une éponge en attendant cette foutue machine qui se déplaçait au ralenti. Mon patron se pointe et je le salue poliment. Il me dit: comment, tu ne montes pas à pied ? A ton âge, j’aurais monté les étages au pas de course. Non mais, il se foutait de ma poire le boss. Il me payait grassement quarante balles par mois et s’imaginait que j’allais me taper les cinq étages à pince ? Je ne répondis pas à cette remarque venue d’un autre siècle (le boss devait avoir la quarantaine et moi je venais juste d’agripper ma “seizaine”). Répondre eût été de l’outrecuidance, de l’impolitesse, du manque de respect. A cet âge là, j’étais encore assez réservé, presque timide.
Mais le temps passe et on change, on se ragaillardit, on devient insolent, moqueur, on prend du caractère… Quelques mois plus tard j’eus une occasion inespérée de démontrer au “quadra” ma façon de grimper ces étages quatre à quatre. Je passe sur l’objet de cette démonstration. J’étais déjà au cinquième depuis un petit moment lorsqu’il arriva complètement essoufflé en grommelant au sujet de ces jeunes qui se croient tout permis.
J’avais eu ma vengeance et la dégustais à chaud et au chaud. Sans rancune Albert…
C’est dans l’imposant immeuble illustré, où j’ai pénétré pour la première fois le 1° avril 1959, que s’est passée ma vengeance. Bien sûr, beaucoup d’eau a passé sous le pont de la Baye depuis lors, mais le souvenir est intact. Alors je dis merci aux deux jeunettes qui me l’ont remis en mémoire.
Pierre-André Schreiber