Le blog de Denis Vitel

Tout s’écoule…

Denis Vitel est pharmacien et consultant. Ayant écrit sa thèse sur le stress oxydant, il s’intéresse aux effets du temps qui passe sur le corps, mais également sur les esprits. Tout bien considéré, nul ne veut vieillir, mais tout le monde veut apprendre. Tout le monde veut rajeunir, mais chacun se méfie des effets secondaires des pilules de jouvence. L’auteur du blog habite sur les hauts de Montreux. Comme tous les Montreusiens, il apprécie tout naturellement le spectacle des jeux de la lumière, du vent et du lac.

Vous retrouverez ici, de temps à autre, ses réflexions sur le temps qui passe.

Paru le: 14/09/2018

Vivons-nous dans une tour d’ivoire ?

De retour d’Asie du Sud-Est, du Vietnam en particulier, on porte forcément un regard un peu renouvelé sur notre bonne ville de Montreux. A vrai dire, par rapport aux stations balnéaires surpeuplées qui palpitent au bord de la mer de Chine, notre ville a quelque chose de l’utopie, de la maison de poupée… quelque chose de la tour d’ivoire. Certes, si on n’éprouve aucun dépaysement après une bonne douzaine d’heures de vol, autant intenter un procès à sa compagnie aérienne. On dit que la globalisation unifie tout. Montreux n’est pas si loin de l’Asie. Pourtant, quand on considère la densité humaine et le relation à l’espace, on doit reconnaître qu’il existe des mondes parfaitement distincts sur notre planète.

J’ai entendu dire qu’au Vietnam, on ne voit jamais d’animal sauvage, ou alors très loin des hommes. Ici, sur les hauteurs de la ville, les bestioles narguent les dormeurs dans les cubes en reniflant leurs garages, leurs jardins, leurs poubelles. Ici, le chasseur est une espèce en voie de disparition en raison des modalités complexes de sa reproduction culturelle. Là bas, il ne faut pas trop compter avoir du « vrai sanglier » dans l’assiette d’un des innombrables restaurants alimentés par des touristes chinois boulimiques.

Ici, on dispose d’un espace personnel minimal d’un bon mètre carré en permanence, autour de soi comme une aura invisible. Dans les villes d’Asie du Sud-Est, on doit se faufiler et profiter du moindre espace comme un poisson dans un banc, immergé dans les ondes de ses proches congénères. C’est vrai pour le scooter comme pour le piéton.

La tour d’ivoire, c’est un symbole, un mode de vie peut-être pour toute l’Europe. On pourrait suggérer à la Commission Européenne d’abandonner le drapeau étoilé. Il peut se retrouver compliqué à gérer avec les entrées et sorties des uns et des autres. A vrai dire, il peut être opportunément remplacé par un fond bleu servant d’écrin à une belle tour blanche. Pour le Montreusien, l’évocation de la tour d’ivoire a une signification encore plus forte que pour n’importe qui d’autre. A-t-on finalement envie de quitter son chez soi ? Pourquoi s’éloigner de « sa » tour ? Pour répondre à cette question, on proposera un petit jeu. Si on est loin, en vacances, on prendra soin d’ajouter à sa playlist la chanson «Tour d’Ivoire» de l’auteur compositeur Phil Barney (ci-dessous), un tube de 1990 qui est un hommage à la solitude du musicien. On écoutera cette chanson sur un transat pour voir à quoi on pense et vers quels lieux les pensées se dirigent. Sait-on jamais, on pourrait déjà être sur le chemin du retour.

(Image: Tour d’Ivoire de Montreux dans le brouillard; photo Maria Martins, merci)