Le blog de Denis Vitel

Tout s’écoule…

Denis Vitel est pharmacien et consultant. Ayant écrit sa thèse sur le stress oxydant, il s’intéresse aux effets du temps qui passe sur le corps, mais également sur les esprits. Tout bien considéré, nul ne veut vieillir, mais tout le monde veut apprendre. Tout le monde veut rajeunir, mais chacun se méfie des effets secondaires des pilules de jouvence. L’auteur du blog habite sur les hauts de Montreux. Comme tous les Montreusiens, il apprécie tout naturellement le spectacle des jeux de la lumière, du vent et du lac.

Vous retrouverez ici, de temps à autre, ses réflexions sur le temps qui passe.

Paru le: 31/01/2018

Thérapie génique: combien pour me refaire la vitrine? Pardon, combien pour me refaire le génome?

Le 24 janvier dernier, Novartis a annoncé un accord de licence avec la société américaine Spark Therapeutics, portant sur les droits du Luxturna®hors des Etats-Unis. Ce médicament n’est pas vraiment comparable aux autres, dans la mesure où il est un produit de thérapie génique. Il apporte à des personnes atteintes d’une déficience génétique rarissime, qui rend le plus souvent aveugle, un gène fonctionnel restaurant une vue satisfaisante. Aux Etats-Unis, chaque injection dans un oeil coûte 425 000 dollars et il faut s’attendre à un prix comparable en Europe. Pour corriger les gènes des deux yeux, il faudrait donc environ 950 000 dollars. On se souvient du premier produit de thérapie génique, le Glybera®, lancé en 2014 au prix avoisinant le million de dollars. Compte tenu de ce prix, il n’a pas été possible de parvenir à un consensus, avec les payeurs, pour financer son utilisation au bénéfice de porteurs de maladies héréditaires rencontrées très exceptionnellement. Pour eux, le fait de pouvoir apporter de l’extérieur un morceau de code sain afin de corriger l’anomalie génétique représente un espoir immense. L’innovation ne les oublie pas. Le financement de la recherche ne fait pas l’impasse sur ceux qui souffrent des maux les moins communs. C’est rassurant, pour tous. Longtemps, l’applicabilité de la thérapie génique n’a suscité que suspicion, dans la communauté scientifique. En 2017, toutefois, nombreux sont les essais cliniques qui ont progressé. Corriger nos gènes défectueux ne restera plus une vaine promesse. Mais quel est le prix de l’innovation?

Un traitement qui coûte l’équivalent d’une maison est problématique, à moins d’être casseur professionnel de bitcoins. Contrairement à nos médicaments, plus ou moins efficaces, prescrits pour contrôler nos maladies chroniques, la thérapie génique est censée opérer en une fois. Afin de prévenir les polémiques, la société commercialisant le Luxturna® a souligné que le produit ne serait pleinement facturé que s’il est effectivement efficace. Satisfait ou remboursé? Pas vraiment : des plans de paiement sont envisagés, en fonction des résultats. Toujours est-il que la thérapie génique reste, pour le moment, hors normes pour notre modèle de financement assurantiel, déjà assez mal en point. Les traitements exécutés en une fois ou en une série et coûtant des centaines de milliers de francs demeurent à la frontière de la médecine. Or, ce qui se passe à la périphérie n’est pas sans affecter le centre. On dit que l’exception confirme la règle. Il arrive qu’elle la remettte en question. Ira-t-on chez le médecin comme celui qui va chez le garagiste, c’est-à-dire dans le but de changer une pièce, pour longtemps?

Thierry le Luron avait parodié un refrain de son amie Line Renaud “le petit chien dans la vitrine” en “combien, pour me refaire la vitrine, la devanture et le ravalement?”. La question s’adressait à un chirurgien esthétique. Dans les décennies à venir, si le modèle économique des thérapies géniques n’est pas revu, on peut imaginer qu’un nombre croissant de malades demanderont à leur médecin : “combien, pour refaire mon génome?”.

Denis Vitel