Le blog de Denis Vitel

Tout s’écoule…

Denis Vitel est pharmacien et consultant. Ayant écrit sa thèse sur le stress oxydant, il s’intéresse aux effets du temps qui passe sur le corps, mais également sur les esprits. Tout bien considéré, nul ne veut vieillir, mais tout le monde veut apprendre. Tout le monde veut rajeunir, mais chacun se méfie des effets secondaires des pilules de jouvence. L’auteur du blog habite sur les hauts de Montreux. Comme tous les Montreusiens, il apprécie tout naturellement le spectacle des jeux de la lumière, du vent et du lac.

Vous retrouverez ici, de temps à autre, ses réflexions sur le temps qui passe.

Paru le: 30/12/2018

Se situer dans son époque… Je suis d’avant l’intelligence artificielle, et d’après Charles Aznavour

«L’intelligence, c’est le seul outil qui permet à l’homme de mesurer l’étendue de son malheur.» disaitDesproges.

On pourrait dire que c’est le même outil qui sert à sonder la bêtise. À ce propos, fatigué de répéter les mêmes erreurs, l’homme se tourne aujourd’hui vers l’intelligence artificielle, moins, certainement, pour mesurer l’étendue de son malheur que pour ajouter à sa perplexité. Nous sommes abreuvés d’articles sur l’avenir des algorithmes dans l’entreprise, les objets non plus seulement connectés, mais intelligents. Certes, les spécialistes des algorithmes nous disent qu’on ne doit pas assimiler l’IA à des robots désireux de remplacer l’homme de façon neutre, presque chirurgicale. Toujours est-il qu’il n’est pas agréable de penser que l’ordinateur intégré à son grille-pain peut battre n’importe qui à un jeu compétitif et que, si on le transférait à un robot, il pourrait prendre le gagne-pain de beaucoup de monde. Plus troublant encore, il va falloir s’habituer à côtoyer des êtres artificiels en apprenant toujours plus sur nous, comme le font les supermarchés par l’intermédiaire de nos cartes scannées après chaque série d’achats.

Il faut apprendre pour savoir

Quand une année se termine, il est de coutume de songer à ceux qui sont disparus pendant qu’elle se déroulait. S’agissant d’intelligence, j’ai envie d’évoquer Charles Aznavour. Il n’y avait rien d’auto-destructeur dans sa posture et dans sa vie d’artiste. Reconnu indiscutablement après l’âge de 35 ans à force d’acharnement et de réflexion sur lui-même et sur la scène, il était aux antipodes des artistes consumés par l’alcool, la drogue et le rock’n roll avant la trentaine. Les Français ont eu le siècle de Charles Aznavour comme ils ont eu celui de Louis XIV, en un sens. Il était aussi bon auteur que bon gestionnaire de sa vie d’artiste. Formidable autodidacte, il était un stratège derrière l’artiste. Dans mon esprit, j’ai toujours un peu superposé  Charles Aznavour avec un arménien célèbre: le champion d’échecs Tigran Petrossian. C’est un peu en champion d’échecs que le chanteur a conquis l’Amérique, au  terme de ce qu’il nommait des «campagnes napoléoniennes».

Le jour où une intelligence artificielle auteure et interprète de chansons surmontera l’opposition initiale du public (par exemple à cause d’une voix trop synthétique) pour s’imposer mondialement et reprendre «la Bohème, ça ne veut plus rien dire du tout», alors on pourra ranger Homosapiens au musée des vieilleries. D’ici là, nous restons hier encore.

Denis Vitel