Contes de noël pour enfants

L’écrivain montreusien Luciano Cavallini (qui nous gratifie chaque lundi d’une histoire fantasmagorique dans le blog “Terreurs et Angoisses de Montreux” – il reprendra en janvier) a écrit une série de 6 contes pour enfants, à raconter à vos enfants sans retenue. Nous commençons aujourd’hui. Il y en aura chaque lundi.

Paru le: 04/12/2017

La rose et le jardinier, conte de Noël

L’écrivain montreuse Luciano Cavallini nous propose un conte de Noël né de son imagination.

Pour tous publics…

 

La rose et le jardinier

GENRE : Conte de noël

 

Il était une fois une fois au Sentier des roses de Territet, une rose pourpre qui dépassait de plusieurs têtes toutes ses autres soeurs. Il fallait la voir s’étirer fièrement sur sa tige, dépasser la clôture, guigner sur le sentier enneigé et déserté par les passants.

Elle en avait vu tournoyer des saisons, les hirondelles s’en venir et repartir aussitôt arrivé l’automne et les belles grappes de raisins dorés.

Elle avait aussi entendu les espiègles jeunes-filles des pensionnats triller de leurs rires contagieux le long de la ligne du funiculaire, puis longuement parler d’émois amoureux, éventails en mains et chapeaux de feutre tamisant délicatement leurs visages.

 

Il y avait eu tant de vie, tant de joies par dessus ces murets miroitant d’ondes lacustres! Notre rose se rappelle encore des fraîcheurs que lui portait le haut peuplier, lorsque le soleil dardait trop fort sur son teint. Alors le vénérable arbre, bien que déjà centenaire, tâchait d’étirer ses rameaux en direction de la jolie rose; il ordonna aussi à la brise de ne frémir que vers les feuillages les plus rapprochés de la noble fleur, afin qu’elle n’eut jamais à redouter les moindres âpretés estivales.

 

Cependant, décembre venait d’arriver à grand pas avec son lot de gelées, blanchissant tout sur son passage, et les pauvres soeurettes de notre petite rose désormais esseulée, dormaient ensevelies sous un grand manteau blanc; d’autres, la chevelure griffue, pétrifiées sur place, ternissaient au sommet de leurs tiges comme de vieille sorcières hirsutes.

 

– Je me demande bien pourquoi l’hiver m’a encore épargnée, soupirait tristement notre petite fleur.

– Parce que tu es la plus belle et que tu as été choisie pour une grande mission.

À ces mots dont elle ne s’attendait pas, la petite frémit de tout son long; mais une rose ça ne peut guère fuir plus loin que ses racines, vous en conviendrez tous avec moi!

– Qui êtes-vous donc, drôle de bonhomme? Vous m’avez drôlement effrayée! Cela se fait-il donc de crier à la volée sans crier gare?

– Je m’en excuse vivement, point n’était mon intention de vous effrayez, soyez-en sûre.

– Oui ben c’est trop tard, le mal est fait, me voilà toute tremblante, là

– Belle rose, baissez le ton voulez-vous bien? Ces colères pervertissent votre teint.

– Une grande mission dites-vous? Demeurer ici toute seule, ne plus croiser personne, point de gaieté, voir ainsi mes soeurs en guenilles joncher le sol. Vous en avez de bonnes… Qui donc êtes-vous?

– Quand vous cesserez vos jérémiades interdisant de déposer une seule parole proche de vos grâces, je répondrai. Mais pas avant.

– Eh bien soit. Je suis bien trop curieuse. Je me tais donc.

– À la bonne heure! Vous m’en voyez fort reconnaissant.

 

Je suis votre jardinier. C’est moi qui vous ai rendue gracieuse et prospère, qui vous ai ointe de cette fraîcheur à nulle autre pareille, qui tissa votre beauté comme une treille, fibre après fibre, afin que vos pétales aussi écarlates et purs que le sang d’un agneau puisse se contempler loin à la ronde. Vous êtes Rose, la reine de ce sentier, et si ces arceaux se tamisent des atours de vos soeurs lors des longs mois lumineux de juillet et d’août, c’était afin que cela vous apportât plus d’ombrages encore, plus touffus que ceux qui vous recouvrirent déjà grâce aux bons soins de mon apprenti le peuplier.

– Le peuplier, votre apprenti! Mais que me chantez-vous là? Il est bien trop vieux pour être votre apprenti, monsieur jardinier…

– Avec moi le temps n’a pas de durée, Rose.

– Oui mais…

– Avec moi il n’y a jamais de “oui mais”, Rose.

– Oui mais… Oh, et puis zut alors! On sait plus comment parler avec vous, ni quoi dire à la fin, taquin de Jardinier!

– Ce n’est pas seulement l’apanage des roses, ce grand défaut. Si les hommes ne s’entendent plus, c’est parce qu’ils parlent faux et aussi mal.

– Ils disent des vilains mots alors? Des grossièretés comme les bambins qui courent le long de ce chemin et qui me froissent la corole durant la belle saison? Un jour, y’en a même un qui m’a envoyé son affreux ballon sur la tête, même que cela m’a fait perdre l’un de mes plus beaux pétales… Sans compter les autres qui. Franchement! Le seul que ça faisait rigoler sur sa vieille rocaille, c’était Hardon le chardon. Cette espèce de vieux gnome avare, incapable de rendre le moindre jus même sous la plus forte des rosées printanières et qui ne sait que se gausser des malheurs d’autrui.

– Bon la rose. Reprends souffle. Maintenant que tu t’es bien épanchée en doléances, tu vas éteindre tes querelles de voisinage et m’écouter attentivement.

 

La neige s’était remise à tomber, des flocons énormes comme des joues de pierrots, toutes fardées de cristaux cruciformes. Rose, plus belle, plus haute qu’à l’accoutumée, s’érigeait droite et fière, cette fois-ci bien au-dessus du chemin qu’elle voyait s’éloigner à vive allure, tant elle prenait de hauteur, s’enfonçant dans un ciel duveteux à souhait.

Le lac semblait une gondole en forme de cygne, on ne savait plus du coton, de la plume ou de la neige, lequel d’entre tous avait inspiré le Très Haut, ne les différenciant que par la légèreté et le plumage.

 

– Rose, admire tes pétales.

 

Rose admira ses pétales, devenus soudainement longs et soyeux, d’une blancheur plus immaculée encore que le glacier bordant la fine coupole céleste. Il y avait des diadèmes partout, des gouttes de givre, puis circonvoisines et tournoyant de plus en plus vite, des étoiles miniatures ou des flammèches survenues aux sommets d’invisibles cierges.

– Vois-tu tout cela, rose?

 

La petite fleur ne pouvait répondre, elle perçut juste que sa longue tige était devenue pourpre, un puissant trait de sanguine hachuré d’un seul jet de bas en haut, tel un jupon retroussé par le Grand Couturier. Puis il y avait les épines, ces épines de roses que l’on a tendance à oublier, que l’on ne veut pas voir, qui gouttaient au sol, constellant le manteau neigeux de myriades de petits rubis.

 

– Rose rouge devenue blanche, aux épines saignant sur le monde, en ce Noël, sur ce beau Sentier des roses, Moi, le Jardinier de toutes choses, je te charge de rappeler aux hommes le message universel qui doit illuminer leurs coeurs en ce jour solennel: “blanche es-tu comme une mère immaculée, comme cette neige s’épandant sur la terre et recouvrant toutes les misères humaines. Rouges et sanglantes sont devenues tes épines, comme la couronne de Celui dont la fête natale est célébrée en ce jour.”

 

Alors la rose, toute frémissante du Sentier des roses de Territet, sentit un énorme frisson l’envahir; puis le jardinier, d’abord délicatement, souffla d’une haleine douce et tiède sur la petite fleur toute émue et se sentant devenir de plus en plus légère, si légère qu’elle surprit sa sommité s’élever de la tige, puis remonter doucement le flanc rugueux et maculé de neige du vieux peuplier protecteur, qu’elle embrassa au passage, le visage baigné de rosée.

 

Le paysage s’épandait au loin, à l’infini, confondant les labours de sa plaine avec l’ourlet des cieux.

Rose du Sentier ne savait pas encore que sa blancheur servirait au corps d’une certaine Madone et que ses pourpres épines constitueraient la couronne de son Fils auquel, grâce à son poinçon involontaire transformé par le Grand Jardinier, il allait pouvoir laver les outrances de ce bas monde.

 

Elle ne le savait pas, car libérée de tous jougs terrestres, elle était maintenant devenue Rose des vents, indiquant toujours la bonne direction aux marins égarés sous les ténèbres.

 

© Luciano Cavallini, Membre de l’association vaudoise des écrivains ( AVE ) & MyMontreux.chContes fantasmagoriques de Noël 2017, “La rose et le jardinier”, décembre 2017 – Tous droits de reproduction réservés.