Quand Deep Purple raconte “Smoke on the Water”…
Je me trouvais dans la foule, face à Frank Zappa. Un mec a surgi derrière moi. Je n’ai pas vu son visage mais je me souviens qu’il portait des feux d’artifice, un bâton rouge et un bâton vert. En général, ils sont inoffensifs. Mais là, ils se sont logés dans le plafond de bois. En un instant, tout s’est embrasé. Claude Nobs se précipitait d’un coin à l’autre du Casino. Je me souviens encore de l’annonce que Frank a faite au micro “Il y a le feu. Veuillez quitter la salle dans le calme”.(…) Nous sommes rentrés à l’hôtel et nous avons regardé l’incendie depuis le bar. Cela empirait. Nous avions peur que les immeubles alentour finissent par brûler aussi. Mais le vent a porté les flammes au loin, vers le lac. Toute la nuit, nous sommes restés à contempler le Casino qui partait en cendres. Le titre de la chanson est venu le lendemain matin. (…) “Smoke on the Water”, je l’ai écrit sur une nappe. Mais les autres membres du groupe se sont moqués de moi. Pour eux, le titre ressemblait à un éloge de la drogue. On a rangé l’idée dans un coin reculé de notre cerveau. (…) Nous étions venus à Montreux, dans cet hiver glacial, pour y enregistrer un disque. Et le Casino qui devait nous servir de studio venait de disparaître en fumée. Claude est parti en quête d’un autre espace. On a essayé le Pavillon: c’est là que Richie a sorti ce riff étrange, qui a servi de base à la chanson. Il était minuit, une heure du matin. La police était à la porte du Pavillon. Nos “roadies” l’empêchaient d’entrer pour qu’on puisse finir la prise. À cause de nous, les Montreusiens ne pouvaient pas dormir. Il a fallu déménager encore une fois. On a atterri au Grand Hôtel qui était vide pendant la saison morte. (…) On a disposé des matelas contre les fenêtres pour qu’on puisse jouer toute la nuit. Il ne nous restait que deux semaines pour finir le disque. Les Rolling Stones nous avaient prêté leur studio mobile. Alors, on y croyait. Franchement, on avait oublié “Smoke on the Water”. Mais, à la fin de l’enregistrement, après avoir mis en boîte “Highway Stars”, “Pictures of Home”, “Lazy” et toutes les autres, on s’est aperçus qu’on n’avait pas encore assez de matière pour remplir un 33 tours. L’un de nous s’est souvenu des maquettes réalisées au Pavillon, avant d’être éjectés par la police. On a écrit ce texte comme un reportage, le récit le plus fidèle de l’incendie. On s’immaginait pas une seconde qu’un événement aussi local aurait un jour une telle portée universelle.
Note de la rédaction; Smoke on the Water figure dans plusieurs listes musicales: elle est 434e dans la liste des 500 plus grandes chansons de tous les temps établie par le magazine Rolling Stone en 2004 et 12e dans la liste des plus grandes chansons à guitare établie par le magazine Q en 2005. La chaîne musicale VH1 l’a classée 11e dans sa liste des 100 plus grandes chansons de hard rock, et 37e dans sa liste des 40 plus grandes chansons de metal.
(Photo en 2013 de gauche à droite: Ian paice, Roger Glover, Ian Gillan, Steve Morse et Don Airey)
(interview réalisé avec Ian Gillan, Roger Glover et Ian Paice, paru dans le livre “50 Summers of Music”)