PÉNOMBRES LASCIVES ET CANICULAIRES
Voici le 102ème conte de l’écrivain montreusien Luciano Cavallini. Là, on est à Pertit.
PÉNOMBRES LASCIVES ET CANICULAIRES
Genre: Récit lascif et convoitant
à Jenny B.
Préambule.
Pertit-sur-Montreux,
En sentant les pages jaunies d’Hector Malot qui poussaient ses pas jusque là, je me suis dit que, comme un ancien livre, il fallait que les fragrances y soient.
Aussi tenterais-je d’allier la peau à la soie,
Comme la chaleur embrase, et la caresse louvoie.
LC
Par la roseur du ciel, le bain vaporeux du crépuscule entrait par la fenêtre.
Un sacré couchant, puis au loin le Léman, puis plus loin encore la chaîne savoyarde plongeant dans le petit lac, en courbe, ou en tous les cas, s’achevant comme une terre usée semblant ne laisser qu’une mince poussière à la surface de l’eau.
Ça tuilait par endroit, on aurait dit qu’une serre se brisait grossièrement à la surface des flots, en ne pouvant contenir ensemble leurs cristallisations aqueuses.
Rose le teint derrière la cheminée, ceinturant comme un cerceau ces vieilles colonnes à têtes noires.
Les martinets remontaient puiser aux sirops des fragrances que perdaient les tilleuls et autres multiples inflorescences, des sirops miellés s’écoulant avec l’érubescence des lieux sur les vieilles façades des alentours.
Les tuiles encore humides d’une courte intempérie, lâchaient leurs capes âcres contre les mansardes.
Il faudrait une peau sur le lit, un corps de pêche, ou un péché sur les épidermes, afin de mélanger les veloutés communs, aux goûts profonds des transhumances amoureuses.
C’était ainsi qu’aux bords arrêtés des façades, seuls les souvenirs jonchaient l’espace, par-delà les petites rigoles dont le murmure annonçait les chemins vertigineux qu’empruntaient les pluies bienfaitrices, à rincer les échaudées humaines.
Il faudrait un hamac, suspendu tout en haut de la mezzanine, avec ces teints clairs obscurs que poudrent les persiennes mi-closes sous l’incendie du jour.
Quand il fait tellement chaud, que les poteries des pignons vibrent sous l’haleine zénithale.
On aurait envie, en écoutant les clameurs du dehors, les porcelaines heurtées des goûters autour des cris d’enfants, on aurait envie, tout seul, de descendre sur un corps longtemps convoité, d’en humer les sucs que les moiteurs caramélisent sous la canicule.
L’endroit clé, remontant de la main et l’avant-bras vers les épaules, la mie des aisselles, la rutilance aigre des scapulas.
Corps féminin convoité, devant croiser la gustation et la caresse en même temps, tout comme le fumet frôle les viandes, les mets le souffle, ou l’olfaction saisit les désirs avant la bouche.
Une superbe torsion dans les habits, chanvre humide, frôlé salé entre les dents, entre ces monts de sucre glace, aux sommets desquels éclosent deux petites framboises.
Là, sous la chaleur torride, l’arrière d’une échine fléchissant lentement en écoulant gracieusement ses clartés vertébrales, puis le bassin ou les hanches larges, tandis que les odeurs de confitures ou de tartes aux fruits montent par tourbillons, provoqués par les graviers foulés au long des allées.
Que tout change d’un moment à l’autre, que le bois tiédit sur les corps, et que le soleil fourmille en essaimant partout ses grains de folies incendiaires.
Couchée, lovée, dans la fraîcheur des ombres disposées en alcôves, prendre le corps alangui, sentir le long du flux, la brûlure humide que provoquent les habits collés sur la peau.
La soie mélangée aux épidermes, puis le tout s’emplissant de concert, sous la pulpe des doigts dégrafant le moule originel.
Ça craquait du côté de la vieille barrière, le midi intense s’infiltrait sous les jalousies, les orbes lacustres, agités par le frémissement des ondes, miroitaient sur le plafond ou en arc-en-ciel épinglé contre le plancher.
Dans ces cas-là, il faut une femme. De la nacre courante, se déplaçant comme la clarté sur une fontaine.
Comme au sortir de la douche, cascade nue et cheveux éparpillés, semblant jaillir du sol comme un jet boréal.
Entendre les lattes de parquets gémir, et les membres fuselés se mélanger entre eux, comme une lave onctueuse remontant par coudées, se propageant, volutes de crème au-dessus d’un café noir.
Dans l’espace clos, savouré jusqu’au bout d’ondées charnelles.
Au loin, alors que la nuit commençait à grignoter les courbes de Grandes-Rives, les feux du Vieux Rhône se mirent à badigeonner la brume, percutant l’atmosphère de plus en plus humide.
Sous la chemise perlèrent les premières gouttes de rosée, sur le toit, les clous d’une averse.
Une détrempe fatale, cinglée d’éclairs, tandis que l’arc rénal cabrait son arceau d’albâtre très loin au-dessus du sol, contre la bordure du tapis persan.
Les gustations d’un être, distillées au goutte-à-goutte, avec les bras cabrés comme des flammèches d’électricité.
L’orage et le voile d’une brume se déchirant contre la lucarne, cette espèce de nue organique diffusant sa bruine venue d’un terrain d’entrailles, en vastes puissances péristaltiques, tel le grondement des cieux sur la moiteur suffocante.
Un beau coup de tabac sur Montreux, montant en trait d’union comme un coup de foudre.
Tonnerre subit où toutes les exaltations se réunissaient, avant de ruisseler éparses sur la couche terrestre.
D’autres floralies naîtront.
Tandis qu’éprise de rapides, la rivière quittait son lit.
© LUCIANO CAVALLINI – Membre de l’Association Vaudoise des Écrivains (AVE) – Contes fantasmagoriques de Montreux – Pénombres lascives et caniculaires – Tous droits de reproduction réservés, juin 2015