Contes fantasmagoriques de Montreux

Des contes d’aventure, d’épouvante, d’amour à Montreux, basés sur des vérités, des légendes ou… l’imagination du conteur, l’écrivain montreusien Luciano Cavallini,
Derrière les paysages idylliques de Rousseau, il y eût des évènements que nos aïeux ont étouffés: de la romance, de l’angoisse ou de la nostalgie…

Paru le: 16/01/2017

Miserere

Voici le 114ème conte fantasmagorique de l’écrivain montreusien Luciano Cavallini. Que se passe-t-il à la patinoire de Caux?

MISERERE
Genre: fantastique
“Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas et s’unit par le médian”. “
(Hermès Trismègiste, La Table d’Émeraude).

 
Elle chantait à l’aube, on la voyait dressée contre la barrière de bois, toute droite et presque triste. Une gorge blanche et lisse que la flèche du col rendait plus proéminente encore, agrandissant son port de tête et son regard comblé par deux oeillets cyan.

Elle chantait, comme un choeur au matin toute seule, des mélopées cristallines provenant de territoires devenus empyrées, soutenue par un balcon de givre; mais on avait l’impression qu’elle ne touchait pas terre. On ne savait trop qui elle était, d’où elle venait, certainement d’un autre âge, à voir la lanterne de marin qu’elle déposait sur la rampe, à côté d’elle.

Des airs mélancoliques s’effilochaient avec le brouillard et les quelques flocons tombant parfois sur ses cheveux.

Qui était-elle ?

Il y avait, au centre de la patinoire de Caux, comme une fêlure sur la glace. Ce rectangle blanc s’étirant sans personne, nimbait la bordure des sapins d’une clarté creusée dans la neige. J’aimais écouter au loin ces couplets mélancoliques se dissolvant dans la brise. Cela faisait une semaine que ça durait, tous les jours, côté amont, alors qu’en même temps l’aube nimbait d’une manière étrange les javelots des hauts conifères.
Pour le reste, elle se vêtait plutôt chichement: jupe bleue frôlant les congères, chaussures identiques, cependant un peu plus contrastées que le reste des atours.
Sa chemise bouffait sur les hanches, un effet de contre-jour glaçait la taille, tellement cette dernière se fondait au manteau neigeux; les manches voguaient, semblant immatérielles. On cherchait les membres, parfois surgissait la lame scintillante d’un poignet, mais rien de plus. Tout ce que l’on savait d’elle était sa mélopée, le chant s’y incarnait en même temps qu’il lui travaillait les chairs. Le cristal de son être s’illuminait, tel un rais solaire dardant une flèche de cathédrale. Rien ne se mouvait d’autres, si ce n’était la bouche incarnant les divines voyelles du “Miserere” de Gregorio Allegri. Il n’eut pas fallu qu’elle resta là, tous les matins, ce n’était pas bien. Puis elle finirait pas prendre mal, très mal.

C’est que, de son haleine entrouverte, s’échappait des brumes disparates; alors on sentait bien, à ce moment là, que l’instrument devait bien être charnel. Ce n’était pourtant sans aucune force ni ridelle sur la face, que la suprême mélodie s’élevait. Cette fille voguait à raz le parterre neigeux illuminant le lieu.

Il est des perles qui ignorent tout de l’océan, n’émergeant d’aucune huitre difforme; aussi l’ange-enfant sertissait la molasse d’un front immaculé, sans réceptacle autre que le calice d’un cou.

Personne ne venait plus fréquenter l’ancienne patinoire. Caux semblait plus haut qu’à l’accoutumée et, des Rochers de Naye jusqu’à la gare, l’abysse des combes s’invaginait plus profondément encore.

On sentait qu’il faisait froid, des baies rougeâtres saignaient entre le houx. On croisait des petits chalets du regard, des fenêtres embuées, l’épaule d’une chapelle engloutie sous la neige, le tout se gouachait d’une clarté azurée. On cognait les cieux à hauteur de coteau.

La petite blanche apprenait la lumière à ceux contemplant nos arpents, le col de la blouse chérissait sa gorge en s’y lovant délicatement, suivant au diapason les frissons du son que la chair égrainait en rosaire. Elle n’y paraissait pas, sa présence respirait, emplissait les arbres, la nature d’alentour, elle ne savait rien de tout cela, elle était comme le vent sur les épis de blé, n’entendant rien des maturités aurifères qu’elle essaimait sur le pain des hommes. Ses joues enfantaient un visage épuré, délicatement disposé au centre du berceau que constituait les soies de sa chevelure.

On était enlevé au balcon des blancheurs, un blanc éclos de partout, comme le silence des flocons lorsqu’il neige derrière les carreaux. Ceux d’en bas l’entendaient, ils l’écoutaient depuis les méats accidentés des Gorges du Chaudron séparant Les Avants de Caux. Il eut fallu, pourtant, qu’ils besognassent encore, pioches et lanternes en main, à chercher parmi le charbon, la pépite unique qui aurait eu la force souffrante de s’épurer jusqu’au diamant. Entre ardeur et pression des enfers, ils levaient tous la tête pourtant, vers les visions stellaires et blanchies de Caux. La casquette lourde et grasse sur des fronts teigneux, ils tentaient de grimper depuis les fosses du Pont de Pierre, jusqu’à la colline de Glion. À la queue leu leu tels des mineurs; tordus tels des vieux échalas rompus par trop de cuvées. Ronds comme des tonneaux ou en rangs comme la vigne, ils émergeaient, pâtées campagnardes et chairs des sillons, séduits et enchantés par ces strophes s’écoulant en cascades depuis les hauts de Caux jusqu’à leurs antres troglodytes.

C’était à chaque fois le même élan, entravé dans le bois et voulant jaillir par la sève, sous l’action d’une rude cognée, afin d’atteindre le faîte des arbres, puis les feuillages, puis enfin l’espérance ultime, celle de pouvoir enjamber les nervures de la dernière feuille, se transvaser hors du mouvement tempétueux dissolvant les actions, à la brise elle-même qui provoque ces mouvances. Émerger de l’expire, du sapin, afin d’entrer dans les bronches divines et les cordes d’où sonnent les vers de l’enfant.

Blanche de Caux revenait encore. C’est ainsi qu’il fallait désormais la nommer. La patinoire solitaire scintillait de tous ses feux et la neige, voltigeant en poussières, transformait parfois celle-ci en lucioles. Mais il semblait que sous les multiples strates écartant la peau du gel, une Cité creuse – bien que s’illuminant progressivement – commençait à divulguer son vaste royaume. Blanche alors, qui jusque-là n’avait pas bougé du parapet ceinturant le chalet du gardien, imperceptiblement se mut, ralentie par l’écho des clartés, des nues s’épandant les unes dans les autres, puis de souffles mêlant leurs mugissements à l’inspiration de la fille. On sentait parvenir une douce odeur de lait et de pommes vertes, comme si quelque part un goûter aromatique se confectionnait en aparté, pour des convives demeurant invisibles.

Blanche de Caux avançait, se tint sur la surface, au sommet de ce qui sembla devenu un ciel de glace, regardant la ville s’éveillant progressivement sous la serre de la patinoire. Pour l’instant, elle glissait, tissant de sa silhouette enchanteresse les arabesques d’un cygne de cristal.

Tout au fond, Montreux s’éclairait, éblouissant toute la clairière naturelle que constituait ce singulier endroit. Le ciel creusait un puits, il se joignait aux cieux du bas, ceux des hémisphères austral; alors il se passa un phénomène éblouissant et des plus curieux à contempler: notre phase diurne rencontra les cycles nocturnes ayant cours simultanément au fond de la Terre, dont l’opercule opposé, tel celui de Caux, devait également s’être entrouvert. On y voyait donc pour une fois l’entière voie lactée déborder sur nos espaces sidéraux; nous assistions à la rotation entière de la roue, dont habituellement nous ne voyions qu’une mince tranche, le seul point reposant sur notre sente spatiale, l’axe se trouvant perpendiculaire au système solaire de notre galaxie. Le puits devenait pont, puis le pont jonction, un bouquet d’aurores boréales se confondait en tous lieux, entre les cycles circadiens s’interpénétrant, les instants spatiotemporels s’embrassant en un clin d’oeil. Le jour et la nuit s’enlaçaient, la lumière puis les ténèbres mélangeaient leurs philtres en donnant le moyen, au témoin privilégié, d’observer l’espace tissulaire se froncer en myriades d’aurores boréales, d’aubes épanchées sur les couchants, alors que le chant de Blanche de Caux parvenait à lui seul à se constituer de toutes les octaves à la fois; ruisselant et béni, produisant des flammèches, s’irisant, emportant de la matière aérienne et l’épandant comme une manne sur le sol. La Cité miroitait, la fille voguait encore, achevant l’ultime larme d’une note sensible, aux confins de Pluton et Saturne.

Alors, comme si la glace fondait, en s’ouvrant, la vallée au-dessous de la patinoire emmena doucement Blanche de Caux par la taille. Elle semblait n’avoir ni maux, ni ressentir la moindre froidure. Elle s’effilochait simplement sous l’étang givré ne recélant habituellement jamais son royaume, ni ne révélant la nature différente des habitants de ce nouvel Avalon. 1
Il demeurait cette gorge, la flèche du chemisier offrant un chablon satiné à la chair du cou. La brillance adolescente des jeunes peaux sur un tissu les retenant, les goûtant en savourant leurs arômes.

Les cieux éblouissaient les confins de leurs sphères, en lesquelles nous étions de plus en plus multiples, enfermés en autant de bulles à échelles diverses qu’il y avait de grains de sable sur une plage.

La glace se reforma au centre circonvoisin du rivage, et le silence retomba avec toute la froidure du matin.
Ni Caux ni Montreux, ni ses habitants ne savaient encore qu’en cette nouvelle aube, ils s’étaient eux aussi infiltrés entre les glaces de la patinoire. On ne pouvait s’en apercevoir au travers des téguments perméables des neiges et des glaciers. Qui se douterait que les pores ne se referment jamais sur un corps, ni que les portes des autres univers demeurent toujours béantes?

Un chagrin terrible m’étreignit, atteignant aussi la multitude de l’environnement. Mais avant de reprendre la forme anodine d’un névé, Blanche de Caux l’avait dit: “Pour rejoindre mes gloires, vous ne devez pas me suivre ailleurs, mais uniquement sortir de vous-même. Car comme je peux passer d’une octave à l’autre par mon chant, et d’une couche à l’autre par le cheminement, vous pouvez également rejoindre les espaces différents de vos chairs, de votre esprit et de l’espace. Car aucun pore démarquant un domaine et enjambant le suivant, ne se refermera jamais sur vous”.

Note :
1Avalon: ville mythique parfois située sous le Tibet, l’Hyperborée, ou encore Prima Thulé, sensée recéler Agartha, le roi de la Cité du Royaume de la Terre creuse.

Les nazis étaient persuadés que ce Royaume existait réellement, et dépêchèrent le photographe Henrich Harer enquêter sur place entre Lhassa et Katmandou; en effet les “portes” de ce royaume sont sensées se trouver dans le pays des neiges. Les hauts dignitaires et guides “spirituels” qu’étaient Karl Hausoffer, Karl Horbiger, Dietrich Eckart, seuls vrais maîtres occultes d’Hitler, croyaient dur comme fer au Royaume des glaces, origine supposée de la pure race aryenne.

Henrich Harrer est le héros adapté pour le cinéma: “Sept ans au Tibet” .

Le nazisme n’était qu’une grande congrégation occulte s’imprégnant des théories remontant aux origines de Prima Thulé, l’Agartha ou Avalon, appelée encore Secte du Soleil Noir. Pour parvenir aux portes de la Connaissance et du royaume tant convoité, cela requérait une discipline de fer et d’énormes sacrifices humains.
On connait la suite…

Jacque Bergier disait que le procès de Nuremberg n’avait jugé que la partie exotérique visible et la plus superficielle du nazisme: ses effets secondaires. La plus pernicieuse et cachée, la partie ésotérique, n’était pas connue des juges, cette dernière continuerait à sévir par descendances et retransmissions secrètes comme elle avait déjà sévi depuis les origines de l’empire romain et napoléonien avec les mêmes symboliques parmi lesquelles les plus récurrentes et connues: L’Aigle, (Aquile) ainsi que le salut bras tendus aux empereurs, le Ave Caesar, Ave Kaiser, César et par contraction, Tsar… (NDA)

En fait il fallait prendre les SS pour ce qu’il étaient exactement: une milice de moines soldats et pas autre chose.

(Louis Pauwells & Jacques Bergier in: “Le matin des magiciens”, éd. Folio Poche).

© Luciano Cavallini, membre de l’association vaudoise des écrivains (AVE), CONTES FANTASMAGORIQUES DE MONTREUX,«Miserere», janvier 2017 – Tous droits de reproduction réservés.