Le blog de VOS histoires

Dans ce blog, nous publions les histoires, souvenirs, idées, potins… que vous nous adressez à hello@mymontreux.ch
Nous nous réservons le droit de choisir les meilleurs. De préférence se rapportant à notre région. Aucune attaque personnelle, pas d’injures, etc. bien entendu. MERCI !

Paru le: 15/09/2013

MES DIX-HUIT ANS AU CASINO…

Ce jour-là, j’avais reçu une thune de ma p’tite maman. C’était l’équivalent d’au moins cinquante balles aujourd’hui. Une fortune ! 
Le soir, je décidai d’aller flamber au Casino. Je me pomponnais et me mis sur mon trente et un. On ne sait jamais. Je pourrais faire une “touche” et lui payer un verre, peut-être même deux. Et comme je n’étais pas majeur, il valait mieux que je sois sapé correctement, ça aide pour entrer au Casin.
Depuis Clarens, je fis le chemin à pied pour économiser le prix du transport. En arrivant devant l’entrée du Casino, je remis un peu d’ordre dans ma tenue, rectifiais ma cravate et fermais un bouton de mon veston (celui du dimanche). Puis, d’un pas décidé et d’un air conquérant, je me projetais dans l’enfer du jeu. Les machines à sous n’avaient pas encore franchi les océans et, ici, il n’y avait que deux ou trois tables de “roulette” autour desquelles les joueurs tentaient leur chance. 
Je m’infiltrais entre eux et, imitant le geste de mes voisins, je lançais ma thune en direction du croupier en disant: change. Aussitôt une courte rafale de pièces de un franc atterrit devant moi sur le tapis. La mise maximale était de cinq francs et, pour cette somme, on pouvait gagner au maximum sept fois sa mise. Ceux qui balançaient une thune n’étaient pas nombreux. Chacun y allait prudemment. 
Prudent, j’observais pendant un moment le geste du croupier, étudiant la zone où s’immobilisait la boule pour avoir le plus de chance de gagner. Ce devait être mon jour de chance et je me retrouvais assez rapidement gagnant de plus de cinquante francs. Inespéré ! 
J’allais me retirer sagement lorsque j’aperçus, de l’autre côté de la table de jeu, une jeune demoiselle qui m’observait en tournant des yeux ronds comme des billes. Je m’approchais d’elle et entamais une conversation qui tourna vite à mon avantage puisque j’étais riche… 
Galant et sûr de mon charme (qui était dans ma poche), je l’invitais à manger au restaurant. Mis en verve par quelques verres de rouge, j’achevais la conquête de la demoiselle en lui offrant comme il se doit le dessert et le café. 
Et nous voilà de retour au Casino devant les tables de jeu. D’une main fébrile, je comptais le solde de mon argent au fond de ma poche et, sagement, je décidais de ne pas tenter le Diable. J’offris un dernier verre à ma conquête et tentais ma chance en lui proposant un rendez-vous. Comme la belle n’était que de passage, l’aventure prit fin ce soir-là. Tant de temps après, se souvient-elle de cette soirée ? Moi qui vous la raconte, j’en ai gardé le souvenir. 
Il se faisait tard, dans les trois heures du matin, l’heure de regagner mes pénates. Je pris congé de la gentille demoiselle qui me remercia par quelques généreux bisous…
Rendu pompette par l’alcool, je ne me sentais pas d’attaque pour rentrer à pince jusqu’à Clarens. Dans ma poche, où ne régnait plus le doux bruit de l’argent, je mis la main sur une pièce de cent sous. C’était largement suffisant pour que je me permette de m’engouffrer dans un taxi. Destination Rue du Léman. 
Pour deux francs et quarante centimes, j’étais arrivé en un rien de temps devant chez moi et là, je fis un dernier éclat pour bien marquer mes dix huit ans. Quand le chauffeur me dit qu’il n’avait pas la monnaie, je lui dis, grand seigneur: gardez tout…
Alors, elle n’était pas belle la vie ? Elle l’est encore mais les prix ont changé.
Pierre-André Schreiber