Le blog de VOS histoires

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Paru le: 16/02/2014

Marché de rêve, rêve de marché

Il fait un temps superbe. Les eaux du lac sont d’un bleu intense, à peine frissonnantes d’un léger souffle venu du large. Je viens tout juste de débarquer du bateau qui m’a amené jusqu’ici venant de Clarens. Et je me dirige vers le Marché Couvert dont la haute silhouette dissimule la Place du Marché. J’aperçois la façade de l’Apollo sur la droite. Quelques passants profitent comme moi de cette magnifique journée et vont d’un pas tranquille. Une maman en robe ample, jabot de dentelle et large chapeau fleuri promène le petit dernier dans la poussette. Des messieurs chapeautés, barbichette et moustaches au vent admirent le lac. D’autres lisent les nouvelles de la Feuille d’Avis de Montreux. Tout ce petit monde s’est mis sur son trente et un. C’est jour de marché. 

Quand même, ils pourraient bien bitumer le quai et nous éviter d’avoir les chaussures saupoudrées de poussière. Sans compter que dès qu’une bourrasque de vent se lève, on est enveloppés de cette fine poussière qui vous rentre jusque dans les yeux. Espérons que ça ne tardera pas trop et que les touristes venus des grandes capitales ne rechigneront pas trop à la promenade. 

Un léger clapotis s’élève des gros blocs qui forment la rive du lac protégée par une barrière en fer forgé. Canards, cygnes et poules d’eau font trempette, certains en “couple” avec des petits de quelques jours. Des mouettes se chamaillent pour quelque trognon de pain qu’on leur a jeté. Elles sont d’une voracité incroyable et pas du tout effarouchées. 
De l’autre côté s’étale, dans toute sa splendeur, le Jardin Anglais avec ses massifs floraux et ses cheminements artistement dessinés. De loin on voit les deux sphinx qui ornent l’escalier monumental qui mène au Marché Couvert. Plus avant dans le jardin sur son socle en granit sculpté, le grand baromètre indique aux curieux ce qu’il suffit de s’apercevoir en levant le nez au ciel: beau temps persistant, pas de pluie avant plusieurs jours. C’est tant mieux, je vais pouvoir découvrir la ville pendant mes quelques jours de repos. 
Le Marché Couvert a fière allure sur ses larges colonnes de pierre. Avec sa belle structure métallique il rappelle qu’il n’y a pas si longtemps un certain Eiffel a construit une tour gigantesque à Paris pour l’Exposition Universelle. Il paraît que les poutres de métal proviendraient du même atelier. Avec ses entrées en plein cintre et ses verrières, il fait bon y passer lorsque le soleil tape trop fort. On peut le traverser et rejoindre la Grand Rue, l’artère principale de la ville. De là, par un raidillon pavé, on accède à l’Avenue des Alpes. 
Mais aujourd’hui c’est jour de marché et il ne faut même pas penser pouvoir traverser le couvert tant il est occupé par les innombrables marchands. Et le brouhaha qui me parvient me dissuade de tenter le coup. Je poursuis donc mon chemin le long du lac en direction de l’Apollo et là, sur la place, je découvre le marché. Des dizaines et des dizaines de voitures à cheval sont à peu près alignées, laissant juste le passage pour ceux qui sont venus s’approvisionner. Les chevaux sont regroupés en plusieurs endroits devant des mangeoires remplies d’avoine. 

Mais d’où vient donc tout ce monde ? Il paraît qu’ils sortent des hauts de la ville, de Pallens, ou de Chernex. Il y en a même qui font la route depuis Villeneuve, La Tour-de-Peilz et Vevey pour venir vendre leurs produits à Montreux. Ceux qui viennent de loin ont dû partir aux aurores pour avoir un bon emplacement et les chevaux ont bien mérité leur avoinée. Pendant qu’ils reprennent des forces, leurs propriétaires, cultivateurs, paysans, bouchers s’activent autour de leurs étals et attirent les clients à la criée. 
On entre là dans un lieu de senteurs qui donne envie de goûter à tout. Ici, des salades épanouies, fraîchement coupées. Là des tomates gorgées de soleil, des poireaux dodus, des pommes de terre et des carottes avec encore un peu de cette bonne terre grasse d’où ils viennent juste d’être retirés. Du côté des vendeurs de fruits c’est le dessert qui m’attend. Des variétés de pommes à donner l’envie d’y croquer sont là: des Golden, des Reinettes et des Gala si rouges qu’on les croirait sorties du conte de Blanche Neige. Et que dire de ces poires à l’air si juteux qui me font saliver ? La Conférence jaune miel et allongée, la Doyenne un peu arrondie ou la Passe Crassane toute en rondeur, apparemment si juteuse que je n’y résiste pas. Je m’en offre quelques-unes pour deux sous et me mets aussitôt à croquer à belles dents. 

Quittant la place, je passe près des chevaux, des bêtes solides, de ces chevaux de trait qui vous tirent une pleine charretée de foin sans difficulté. Une forte odeur de crottin règne dans ce coin. La campagne est venue à la ville, elle s’en retournera en fin d’après-midi laissant la place libre aux garnements qui ne manquent pas de venir y jouer. 
Assis à la terrasse du bistrot qui jouxte l’Apollo, je m’offre une chope de bière bien fraîche en pensant à ce marché, à ce rêve de marché qu’une photo retrouvée m’a inspiré. Je reprends conscience du temps qui a passé. J’émerge de ce qui ne fut qu’un songe tout éveillé en regardant cette place vidée de son sens.

Pierre-André Schreiber 

(photo collection Musée de Montreux)