Les mauvaises farces du Gnome Sylvestre
CONTES DE NOËL POUR LES ENFANTS
Les mauvaises farces du Gnome Sylvestre
à ma fille Gaïa & à Celina
Comme tous les matins, tôt afin de se montrer le moins possible, le gnome Sylvestre émergeait de son antre, tout hirsute. Il demeurait dans une grotte surplombant la Baye de Clarens, entre le chemin des Portaux et le sentier menant jusqu’à la piscine de la Foge.
Bien qu’il soit de jour totalement invisible à ceux ayant perdu leur âme d’enfant, ou leur âme tout court, il n’en demeurait pas moins capable de souffler des bêtises aux personnes se promenant sur le sentier.
Vous croyez que lorsque votre narine vous pique ou que vous trébuchez sur les racines, cela provient de vous seul? D’un mauvais rhume ou une quelconque maladresse? Que nenni! Le Gnome Sylvestre est là, vous chatouillant le nez ou vous tendant un croc-en-jambe à l’aide d’un branchage!
Ce n’est pas qu’il soit méchant de nature, mais c’est plus fort que lui. Il polissonne pour se marrer, il fait des farces pour s’esclaffer, cela distrait ses humeurs!
C’est fou les dégâts que peut faire le Gnome Sylvestre… Il n’st pourtant pas bien gros ni grand, toujours pour ceux capable de l’apercevoir. Culotte noire et bouffante, chapeau pointu rouge vif surmonté d’une plume de cygne qu’il est allé lui.même arracher sur Dame Cygogniac, la grande reine des cygnes du Léman, c’est dire s’il est gonflé! Ou une autre fois sur la Mère Colvert, passant toujours dédaigneuse avec son chignon tiré à quatre épingle… Il s’enfuit ensuite, de ses petits pieds fourchus, se glisse comme une ombre entre les fentes des murs, puis casse la croûte avec le Raton Léon, tous deux partant dans un vacarme assourdissant et se tapant sur les cuisses, lorsque que le gnome lui raconte ses pérégrinations. Léon, à cette occasion, garde toutes les rebibes de nourriture que les gens jettent de manière inconsidérée entre les roches des quais. À eux deux ils se camphrent une sacrée ruche! 1
Mais, cette année-ci, le Gnome Sylvestre avait eu une bien curieuse idée. Bon, cela lui trottait déjà depuis longtemps dans la tête, donc il lui incombait une fois pour toutes de la mettre en pratique.
C’est qu’il n’avait peur de rien, le vilain compère! Il allait s’attaquer à plus grand et bien plus fort que lui, à savoir la terre entière! Il voulait tout simplement empêcher que celle-ci passe du trente et un décembre au premier janvier, en arrêtant avec la seule aide de ses petits bras musclés l’orbite de cette dernière autour du soleil! C’était la poisse de retrouver encore toute une année empilée au seuil de la grotte, de out recommencer tout le temps, sans arrêt, sans pouvoir souffler une seule seconde… Aussi, en arrêtant la course de la planète, on arrêtait du même coup le temps, les saisons, les enfants restaient des enfants, ils pourraient tout le temps s’amuser, les parents demeureraient toujours jeunes et auprès d’eux, et les grands-parents ne mourraient plus, aussi tout le monde serait content. Il faudrait juste ruser avec Monsieur Dieu, ce serait le plus difficile, mais on trouvera bien le moyen d’y parvenir!
C’était sans compter sur la faculté de Son Éternité de pouvoir lire dans le coeur, les âmes et l’esprit de toutes les créatures de ce monde et anticiper les mauvaises actions! Pour le reste il était difficile de juger, ses autres sentiers restaient impénétrables. À partir du moment où celui de la Foge continuerait d’être un terrain de farces et attrapes, qu’importait le reste de la bagatelle!
Donc, on allait tirer le Compère Léon avec soi: à deux ce sera plus facile de réaliser le plan. Lui, il sera bien d’accord de jouer un tour pendable à l’engeance humaine qui se comporte tellement mal! Ils mangent les animaux, ils jettent leurs ordures partout, alors autant que tout ceci s’arrête au plus vite. Les hommes se figeront d’un seul coup, dans ce qu’ils sont en train d’accomplir, ça risque d’être d’un rigolo!
Voilà comment nous allons procéder:
Le Gnome Sylvestre avait invité le Raton Léon dans sa grotte afin de lui expliquer le plan en détail. Il fallait juste qu’il écoute ce qu’on lui disait, ce ratouillon, car il était tout le temps distrait. D’abord, son petit caleçon à bretelles était toujours tourné à l’envers et son gilet voyait des boutons totalement crochés de guingois! Quant à son bonnet… On ne savait comment il parvenait encore à le laisser sur la tête! Le pompon disparaissait à tout bout de champ, il fallait toujours rebrousser chemin pour le retrouver. Il tordait tellement le fil qui le retenait, que ce dernier finissait par céder, mais toujours au mauvai moment, c’est à dire quasi tout le temps! Aussi, en arrêtant la cadence de la terre dans son manège insupportable, on en terminerait également à coup sûr avec toutes ces calamités!
– Alors, tu nous dis comment on va faire? s’impatientait Léon assis sur une petite pierre bancale.
– Du calme l’ami, souffle un peu! Bon, ben voilà… On va attendre que le trente et un décembre pointe enfin son entière face, une fois que le mois entier sera bien visible devant nous, on va s’arranger pour gonfler nos culottes d’air chaud. Oui nos culottes, ben quoi, qu’est-ce que j’ai dit de si drôle ?
– J’ai rien dit mais je pouffe…
– Pouffe, pouffe donc pendant que les autres bouffent!
– Je vois pas pourquoi on devrait péter dans nos culottes!
– D’abord on ne pétera pas dans nos culottes, mais on les gonflera tout simplement d’air chaud. Comme ça nous deviendrons légers, légers, toujours de plus en plus légers jusqu’à décoller du sol; tu vois, c’est pas plus difficile que ça!
– Pas plus difficile, pas plus difficile, que tu dis! On chauffera tout ça comment, hein?
– Avec un petit feu de brindilles, faudra juste bien se tenir dessus, jusqu’à ce que nos caleçons commencent à se bouffir d’air chaud.
– Mais on va se brûler le derrière avec ton “bouffir” !
– Écoute, on a rien sans rien! Ou tu essaies avec moi, ou je tente tout seul l’aventure, c’est à toi de choisir!
– Bon, bon, ça va… On s’énerve pas. Ce que tu peux être susceptible, quand tu t’y mets!
Ainsi fut-il fait. Mais le Gnome Sylvestre voulut voir ses autres amies encore. À savoir la Mère Colvert, le Héron Patapon et la Grande Cygognac. Pour cela l’espiègle petit bonhomme glissa furtivement le long de la Baye par la digue, à certains endroits comme vers les abattoirs, entre les pierres. On y trouvait tout ce que l’âme humaine recelait de plus répugnant, et les animaux morts hurlaient encore de tous leurs esprits quand on traversait ce sale endroit! Ils essayaient toujours de se faire entendre pour qu’on les sauve. Il faut être gnome ou enchanteur pour percevoir ces hurlements de terreur, ou avoir encore conservé une âme d’enfant; mais c’est alors qu’on était perdu, qu’on y comprenait plus rien du tout à la sauvagerie et méchanceté sanguinaire des adultes.
La Dame Cygognac refusa sec de tenter l’expérience.
– Après avoir volé ma plus belle des plumes pour la fixer sur ton ridicule chapeau? Jamais, passe ton chemin maraud!
La Mère Colvert pas mieux:
– Après m’avoir traitée de bébé barboteur et avoir ri de ma tête emplumée? Tu peux toujours bien quémander. Passe ta route vulgaire mendiant!
Le Héron Patapon n’en pouvait plus non plus, de voir l’affreux petit génie lui rabâcher sa stupide contine parlant d’une bergère sous la pluie, celle-là même qui le chassa au bord du lac, parce que, soit disant, il lui mangeait toutes les soles de son ami Rémi. Alors que la sole l’a mis là, l’ami Rémi, et non pas Héron Patapon!
Quand à mégère la vipère… Elle dormait profondément entre les fissures du château de Chillon, Dieu merci, l’hiver était plus tenace que son venin, et les vignes surplombant le donjon moins fourchues que sa vilaine langue colportant ragots et mensonges.
Seul le Raton Léon acceptait de relever le défi. Aussi le soir du trente et un décembre, les deux pépères se retrouvèrent assis devant la grotte du chemin menant à la Foge. Face à eux, dans la grande serre et l’auvent de sa bâtisse, l’agriculteur Jacquy avait allumé des myriades de bougies, et l’aspect diamantin du verre luisant sous le brouillard, donnait juste envie de participer à la fête.
– Tu n’y penses pas Léon! On aime ni les ratons ni les taupes chez les enfants laboureurs. Pour sûr que tu voltigerais toute l’année en l’air, après le coup de botte qu’il t’auraient lancé dans l’arrière train! Ah ouiche. Pour sûr, ce serait du réussi, tiens! Tu retomberais au sol le premier janvier suivant, pauvre misérable…
– Ça va là! Inutile de te mettre dans des états pareils le Niome !
– On dit pas le Niome, on dit le Gnome Râlons Léton!
– On dit pas Râlons Léton, on dit Raton Léon! T’es bouché ou quoi?
Le feu eut aussi de la peine à être de la partie. Les branchages étaient humides, pour peu on aurait raté le cap fatidique tant convoité.
– Ça ne va jamais prendre ton truc, t’es trop petit et trop invisible, tu arrives à peine à soulever un fétu de paille pour le flamber!
– Tu es bien trop dodu, le Raton; en soulevant ces brindilles tu écrases le départ de flammes par ta masse.
Ils se disputèrent ainsi toute la soirée du Réveillon, trouvez-vous que ça avait l’air festif, tout ça?
Puis, tout d’un coup, la braise prit d’une seule flambée, soulevant les compères de leur état de siège, les portant de plus en plus haut, et malheureusement, trop tard, le Raton Léon se rappelait qu’il souffrait du vertige.
– Au secours, au secours, je veux redescendre! Aidez-moi! Quelqu’un, par ici, vite !
– Arrête de hurler ainsi, regarde-moi, est-ce que j’ai la frousse pour quoi que se soit moi?
– Oui mais toi c’est toi. T’es à peine visible et tu pèses chiche! Tandis que moi je suis rond et dodu: si je tombe, je vais déchirer ma culotte, et qui sait peut-être même vais-je me rompre les osselets!
Au même moment, notre Léon fut transporté à l’autre bout de la terre, mais pas en l’air, seulement en avant.
Encore au même moment, mais une seconde plus tard – oui c’est ma logique – le Gnome fut soulevé, mais à la verticale, en l’air.
Minuit sonna.
Puis il sonna encore onze fois.
Puis encore dix fois.
Puis neuf,
Six,
Cinq,
quatre,
Trois,
Deux,
Un…
Ce qu’il fait qu’il sonna beaucoup, pour un seul et unique minuit!
La Planète Terre tournoya, tournoya sur elle-même, puis sur son orbite autour du soleil.
Le raton Léon atterrit en Argentine, au début de l’hiver…
Le gnome Sylvestre en plein mois de juin, en début d’été, pile à califourchon sur le solstice, c’était vraiment la poisse!
Car pendant qu’ils étaient en l’air à cuver leurs bêtises, les culottes remplies d’air, bouffantes comme des pantalons de cosaques, eh bien la planète n’était pas en reste, ni n’avait attendu pour se faire la malle et montrer sa plus belle face au soleil! Elle en était amoureuse et pour lui, voulait bronzer au plus vite. Alors, impossible de rebrousser chemin, la terre avançait si vite, que pour retourner à pied au premier janvier, on se mêlerait les pattes sur les franges de ce tapis volant !
Non, il fallait bien le dire, le Gnome Sylvestre avait bien réussi son coup, mais il n’avait pas calculé précisément le temps où il aurait fallu rester en l’air, afin de retomber juste au bon endroit, à savoir ce premier janvier 2017… Mince alors, la Guigne!
Il faudrait tout revenir à pied.
Tout refaire le chemin inverse et, le pire, les culottes à plat sur les fesses!
Tout refaire, tout recommencer, bonne année, pied de nez, nez en l’air, l’air de rien, rien de rien, pfff…
– Je vais les lui faire passer, moi, au Gnome Sylvestre, ces tours pendables! Il ne perd rien pour attendre, celui-là.
– Bonne année, bonne année, non, on n’y échappe pas, tout recommence!
Qu’en pensez-vous? Tout recommence-t-il vraiment?
Si l’on garde une âme d’enfant et qu’on y croit, ça recommencera toujours quand et comment on voudra. Car, finalement, les années qui passent, c’est l’affaire de la terre, des siècles et de l’éternité. Puis l’éternité c’est quand le choucas des Rochers de Naye aura transformé toute la roche en sable, lorsqu’une fois tous les cent ans il en aura effleuré le sommet avec une écharpe dans le bec …
Il a encore du bon temps devant lui le Gnome Sylvestre pour préparer d’autres farces, quand il aura enfin soigné son derrière cabossé par la rechute au sol, et quand le raton Léon aura enfin fini de revenir d’Argentine.
Et vous autres? Allez-vous tenter de demeurer au trente et un décembre toute l’année?
Ça vaut la peine d’essayer, car ainsi vous garderez une âme d’enfant. Ce qui veut dire malicieusement qu’une part de vous-même ne passera jamais plus les jours de l’an.
Malin et demi, le Gnome Sylvestre!
Épilogue:
Histoire grandement inspirée par la faune estivale rencontrée et apprivoisée lors de nos promenades coutumières entre l’Hôtel Eden et Territet.
Toute ressemblance avec des personnages ayant existé ne serait de loin pas fortuite…
1 se camphrer la ruche = s’empifrer
© Luciano Cavallini & MyMontreux.ch – Contes de noël – “Les mauvaises farces du Gnome Sylvestre” – Décembre 2016 – Tous droits de reproduction réservés.