Montreux NEWS

Retrouvez ici, toutes les infos, évènements et faits marquants de la vie montreusienne. La Commune de Montreux, célèbre dans le monde entier, se situe sur la rive est du lac Léman, bénéficiant d’un micro-climat au centre de ce que l’on appelle la Riviera vaudoise.

Paru le: 04/11/2012

LE TEMPS: Montreux est-il vraiment comme David Laufer le voit?

Voici un article un rien polémique parue dans LE TEMPS du 1er novembre 2012. Le paragraphe qui concerne Montreux est en gras.
Réagissez, dites ce que vous en pensez. Approuvez ou contestez: du débat naît le dialogue!

La Suisse à l’envers
David Laufer

La Suisse latine n’est pas celle que l’on croit. Les villes alémaniques – les grandes eet les plus petites – sont plus vives, plus modernes et plus fourmillantes de créativité que les villes romandes. Par l’écrivain David Laufer
Crée le 01 novembre 2012
Après avoir passé son enfance et fait ses études à Lausanne, un de mes amis vit à Hong Kong depuis 10 ans. Comme il était de passage en Suisse, je lui ai proposé d’aller passer l’après-midi à Berne. «A Berne? T’es pas bien?» Je ne me suis pas étonné de cette réponse. J’aurais réagi de la même manière il y a quelques années seulement. Berne? Je citais volontiers les propos de Romain Gary qui, diplomate pendant six mois en Suisse, prétendait n’en avoir absolument aucun souvenir. Le problème, c’est que Gary – et moi-même, par conséquent – parlait de la Berne des années 1950. Nous avons largement hérité, en Suisse romande, de la conception que se faisaient nos parents de la Suisse alémanique qui, même si elle était vraie alors, ne l’est plus du tout aujourd’hui. On pourrait même soutenir que les réalités se sont inversées. Berne ou Bâle sont plus vives, plus latines et plus fourmillantes de créations artistiques et économiques que Genève ou Lausanne. Les nouveaux renfrognés sont Romands, les nouveaux joyeux sont Suisses alémaniques.
Je ne parle pas que de Berne, Bâle et Zurich, qui ont autant à offrir aujourd’hui que bien des capitales européennes. Je parle aussi de Winterthour, d’Aarau, de Lucerne, de Coire, de Saint-Gall ou de Schaffhouse, toutes ces villes petites et moyennes qui ont remarquablement rénové leur patrimoine, tout en faisant la part belle à une modernité radicale. La comparaison est douloureuse. Prenez Aarau. Voilà une ville sans autre avantage qu’une proximité avec Zurich, une économie vive et un centre-ville confortablement bucolique. Pas d’histoire glorieuse, de patrimoine architectural ou viticole ou culinaire hors du commun, d’environnement naturel époustouflant. Une petite ville sans rien pour se distinguer de mille autres petites villes. Mais allez à Aarau, visitez les expositions audacieuses du nouveau Musée d’art à l’architecture futuriste, allez manger dans un des nombreux restaurants qui rivalisent d’inventivité et de qualité. Et promenez-vous dans les rues, découvrez un centre-ville rénové sans excès, une ville qui vit, des jeunes partout, un paysage qui exprime la confiance. Un peu trop confortable, peut-être, dans son opulence provinciale, mais voilà une ville de 19?000 habitants qui tire le maximum de son potentiel.

Et puis, comparable par la taille avec Aarau, allez à Montreux. Une situation géographique que le monde entier lui envie. Un patrimoine architectural – pour ce qu’il en reste, et quand on sait le distinguer derrière les dégâts provoqués par des rénovations criminelles – remarquable de richesse et d’ambition. Une histoire plus vieille encore que son château de Chillon, le monument le plus visité de Suisse. Une industrie touristique alentour qui ne faiblit pas. Et pas un seul musée, pas un restaurant un tout petit peu inventif, pas un seul lieu où se presse la bonne société. En revanche, un front de lac consciencieusement défiguré par des rénovations catastrophiques et des ajouts de bunkers, de tours et de blocs de bétons. Une apathie presque complète de la vie culturelle. En dehors de l’inévitable Festival de jazz où ne se pressent, d’ailleurs, plus que des soixantenaires qui jouent pour des cinquantenaires. Et une impression générale d’ennui profond. Une ville qui hésite entre un passé glorieux sur lequel elle ne peut plus se reposer, des pathétiques illusions des années 1970 et 1980, et un avenir que personne ne semble savoir prendre en mains.

Entre les grandes villes, la comparaison devient carrément honteuse. Il est beaucoup, beaucoup plus cher de vivre à Genève qu’à Bâle, alors que Bâle a cent fois plus à offrir que Genève. M’arrêtant au hasard dans un petit restaurant à Zurich il y a quelques jours, je fus saisi par la qualité du menu, de la déco et du service. Parce que je n’y suis pas du tout habitué en Suisse romande, où l’on persiste à considérer le café Romand à Lausanne ou le café du Centre à Genève comme des bons restaurants, quand ils ne servent que la même tambouille sans goût ni grâce depuis la nuit des temps, dans le même décor. Seuls les prix ont changé.
L’offre culturelle est aussi déséquilibrée. Art contemporain, photographie, architecture contemporaine, galeries, on trouve de tout en qualité et en quantité en Suisse alémanique. Quand les Genevois se moquent des Valaisans qui possèdent, eux, une authentique fondation d’art dynamique et vivante, ce que Genève, malgré tout son argent et sa situation, n’est pas fichue d’offrir. Lausanne s’en tire un tout petit peu mieux avec l’Elysée ou l’Hermitage, et Vevey avec son festival Images. Mais le débat qui entoure, depuis des années, le Musée cantonal des beaux-arts ou la réfection du parlement vaudois, souligne péniblement notre manque de détermination, notre apathie et notre pusillanimité.
Et pourtant, nous persistons à penser, en Suisse romande, que les Suisses alémaniques nous envient, qu’ils sont rigides et conservateurs. Ce qui correspond presque exactement à ce que nous sommes, nous Romands, en dépit de notre vote majoritairement de gauche, de notre attachement de façade au progrès social, de notre soleil et de notre foutu chasselas qui noie nos éternels et foutus filets de perche, ce «fish and chips» hors de prix. Nous nous plaignons à peu près de tout: des frontaliers qui nous piquent les jobs dont nous ne voulons plus, des jeunes que nous empêchons de faire la fête, des politiques auxquels nous nous évertuons à mettre des bâtons dans les roues, des banquiers que nous insultons après qu’ils ont financé notre train de vie somptuaire pendant 50 ans.
Je ne vois qu’une seule circonstance atténuante: les Suisses alémaniques nous ignorent tout autant que nous les ignorons. C’est sans dégoût de leur part, peut-être, mais avec une certaine méfiance tout de même, irritante parfois. Notre fédéralisme est merveilleux pour décider qui paye quoi. Mais voilà, avec le temps, nous nous sommes construit d’épaisses, d’infranchissables barrières culturelles et linguistiques. Heureusement, ces barrières ne coïncident pas avec les barrières politiques. Pour le moment. Et pour le moment, je dois accepter que je ne vis pas en Suisse. Nous ne vivons pas en Suisse: nous vivons en Suisse romande. Un magnifique et tout petit pays d’un million et demi d’habitants, qui vivent de plus en plus repliés sur leur village et qui ignorent à peu près tout du reste du pays. De notre pays.