Le dégonflé…
C’est en voyant la Chapelle d’Etraz sur MyMontreux qu’une anecdote vieille de plus de cinquante ans me revient à l’esprit.
L’action se passe un jour, à la reprise des cours professionnels à quatorze heures, lorsque j’étais apprenti. Un gars n’avait rien trouvé de mieux que de balancer sa gomme à travers la classe. Après plusieurs ricochets, l’objet était retombé sur le bureau du prof, un certain Gutmann qui, comme son nom ne l’indique pas, était tout sauf bon quand il s’agissait de nous inculquer sa matière préférée, les maths.
Contenant sa colère, il demande au responsable de s’annoncer dans la minute qui suit sans quoi, ajoute-t-il, toute la classe sera punie de deux heures de cours supplémentaires.
Or, ce jour-là, le prof qui donnait le cours suivant était malade. Une aubaine qui nous permettrait de rentrer chez nous plus tôt. Sauf que, cette fois, la sentence émise devrait être exécutée. En effet, le responsable du lancer de gomme s’était annoncé après le délai et le bon monsieur Gut n’avait rien voulu savoir.
À la pause de seize heures, une majorité d’entre nous avaient décidé de ne pas tenir compte de la punition et de passer outre la décision du prof. Seulement voilà, quelques dégonflés avaient repris leur place après la pause pour le malheur des autres.
Quinze jours plus tard, lorsque j’arrive au bureau (au cinquième étage de l’actuel Crédit Suisse), le patron m’appelle et me demande des explications que je lui fournis en toute honnêteté.
Et là, stupeur ! Le boss m’annonce que le prof a déposé une plainte à la Direction de l’École Professionnelle et que les “sujets” réactionnaires à la sentence du bon monsieur Gut seront punis de deux dimanches de retenue chez les flics.
C’est ici que le rapprochement avec la Chapelle d’Etraz s’est imposé à moi ce matin. A l’époque des faits, comme on dit dans le jargon de la loi, la police municipale avait ses bureaux dans l’immeuble voisin de cette Chapelle.
Ainsi, aux dates prévues, je m’étais présenté pour subir ma privation de liberté. J’avais pris avec moi quelques bouquins pour passer le temps et, après avoir subi la fouille réglementaire, on m’avait enfermé à double tour dans une pièce minable.
Ah monsieur Gutmann! Si la chapelle avait pu entendre les chapelets de noms d’oiseaux que j’ai prononcés à votre endroit, pour sûr que ses vitraux se seraient mis à trembler…
Et le dégonflé dans tout ça ? Je ne m’en souviens plus; mais à la suite de cet incident, personne ne l’avait eu en odeur de sainteté… (encore un rapprochement avec la Chapelle)
Pierre-André Schreiber, Veytaux 2013