Le blues de la canicule
Écoutez les voix du Delta pour expérimenter au mieux la moiteur
Quand l’air est étouffant, quand la nuit ne rafraîchit même plus et quand même lire peut donner chaud, il faut à la fois tuer le temps et le vivre au rythme d’un rotor de ventilateur. Pourquoi ne pas profiter des circonstances pour découvrir ou réécouter une musique d’une région subtropicale, enracinée dans la chaleur? La distance est grande des Grangettes au delta du Mississippi. Par ici, on a plus de chances de croiser un castor qu’un alligator. Du moins pour l’instant. «Les puces nous prennent pour des canards», lit-on dans les journaux, que nous soyons fans de Donald Duck ou pas. Ce n’est pas si difficile de se mettre dans l’ambiance de la Louisiane. Après tout, il y a des bateaux à vapeur par ici, comme sur le Mississippi, même si leurs aubes ne sont pas exactement positionnées ici comme elles le sont là-bas. La canicule pourrait être une occasion de parcourir, en sueur, les histoires de la Louisiane, si malgré tout on a la force de lire. Bien sûr, il y a le vaudou et sa littérature. On peut se plonger, entre deux douches, dans les récits de voyageurs ; comme celui de cette femme qui s’est retrouvée nez à nez, littéralement, avec un ragondin dans un patio, cherchant un peu d’espace et surtout à respirer dans une nuit irrespirable.
Qui sait si, avec le réchauffement climatique, des promoteurs facétieux n’érigeront pas dans les décennies à venir, à Montreux, un hôtel mimant les patios, les terrasses, l’architecture et les colonnades des vieilles constructions Nouvelle Orléans? Trêve de conjectures, la chaleur intenseest comme une porte d’entrée pour entendre des voies d’outre-monde, d’outre-tombe, enfin d’outre-ce-que vous voulez. Ce sont des diamants noirs qui ont la moiteur comme écrin. Ce sont celles de Charley Patton, de Son House, de Bukka White ou, bien sûr, de Robert Johnson dont parle longuement Greil Marcus dans son classique Mystery Train. Ce sont celles des ancêtres des Buddy Guy et BB King, qui ont fait les belles nuits de la programmation de blues du Jazz Festival. Elles sont impérieuses, redoutables à écouter quand on est seul, occupé avec sa conscience altérée par la température, affairé à lutter avec quelques insectes…
Écoutez la voix de Son House quand on a comme l’impression que la couche d’ozone faiblit.
Ecoutez Charley Patton quand la sueur devient le seul sous-vêtement à peu près supporté.
«All right, ain’t going to be here long» chantait Charley Patton, prolongé peut être, en un sens, par le « it won’t be long » des Beatles. Enfin, le réchauffement climatique, c’est quand même parti pour un bon moment…
Ah oui, encore une chose : les orages offrent également une très belle matière pour accompagner la même bande son.
(photo Michèle Serron, merci)