Contes de noël pour enfants

L’écrivain montreusien Luciano Cavallini (qui nous gratifie chaque lundi d’une histoire fantasmagorique dans le blog “Terreurs et Angoisses de Montreux” – il reprendra en janvier) a écrit une série de 6 contes pour enfants, à raconter à vos enfants sans retenue. Nous commençons aujourd’hui. Il y en aura chaque lundi.

Paru le: 18/12/2014

La sorcière Sulfurieuse

Voici le quatrième conte de Noël pour enfants:
LA SORCIERE SULFURIEUSE
Les histoires racontées à ma fille Gaïa. 
La sorcière Sulfurieuse habitait dans un affreux talus rempli de ronces, proche d’une maison dont les pierres lugubres semblaient même jeter de l’ombre en plein jour.
Un cèdre noir s’étirait jusqu’au ciel, tandis qu’à l’arrière une fontaine d’eau stagnante perdait à longueur de journée ses miasmes pestilentiels.
Le porche, renfoncé, avec sa lumière bigleuse, ressemblait plus à une grotte qu’à une entrée principale.
Sur le côté gauche, une tour se profilait, étroite et malpropre, tandis que la cage d’escaliers, emboîtant une rampe de bois massif, s’enfonçait dans les étages assombris de moquettes couleur olive, recouvrant à la fois murs, sols et plafonds.
La clarté rendue malade par tout un embrouillamini de verdures laissées en friches, ne parvenait qu’à offrir un teint délavé à l’ensemble du lieu, et ce malgré les hautes baies gothiques, emboitant toute la hauteur de la façade nord.
Les portes étaient toujours fermées à double tour. Même l’air ne circulait plus. Sauf les mauvaises odeurs de soufre qui parfois sortaient d’une fenêtre, lorsque la sorcière rendait visite à la propriétaire de ce répugnant Castel. C’est qu’une profonde amitié les liait toutes deux ! Et pour cause: elles s’étaient spécialisées dans le rapt d’âmes et d’esprits, tous volés chez des enfants en bas âges, qu’elles attiraient avec des friandises ! Parce qu’elles voulaient toujours rester belles et jeunes, et pour cela il fallait séquestrer les âmes toutes nouvellement descendues sur terre.
Depuis le recul d’un jardin laissé à l’abandon lui aussi, deux pies montaient systématiquement la garde, afin d’empêcher que les maudites femmes accomplissent leurs forfaits: Hêkè et Hökè. C’étaient aussi les meilleures amies des animaux du coin, qu’elles entraînaient comme des soldats, afin de récupérer les innocents venus se perdre dans la cour, attirés par le côté mystérieux de la propriété.
Un jour, deux bambins, un frère et une sœur portant le charmant nom de Lili et Lilo se promenaient aux alentours de la bâtisse, s’amusant à se faire peur comme le font tous les enfants, attirés aussi par les belles mûres toutes mûres le long du mur; et qu’un murmure de brises faisait frissonner en embaumant le lieu d’un délicieux arôme.
Les pies avaient beau hurler «Hêkêhêhêkê!», puis de reprendre «Hêkêhêhêkê! ce qui voulait dire «n’y allez pas N’y allez pas!». Mais qui donc comprend le langage des pies? Les malheureux n’entendirent pas cet avertissement, et voilà qu’ils coururent dans le talus en se gorgeant des merveilleuses baies violettes, toutes pleines de bon jus! Ils s’en étaient repus, et le bruit de leurs pas, dérangeant les broussailles, fit sortir Sulfurieuse de son Antre…
Son Antre: une grosse cabane de ronces, avec des épines comme des poignards, des fenêtres grillagées en toiles d’araignée, et des carreaux constitués de bave de crapauds cristallisée!
– Hêkêhêhêkê! Hêkêhêhêkê!
Peine perdue… Les voilà pris au piège!
– Alors les enfants! Vous venez me rendre visite! Ça me fait bien plaisir! Car aujourd’hui, comme par hasard, je venais de prendre un petit coup de vieux! N’ayez pas peur enfin! Je ne vais pas vous manger! Nous allons goûter chez ma voisine du château! Vous voulez bien? Elle fait de bons gâteaux et sait mieux que moi raconter de belles histoires!
Tandis qu’elle égrainait ses suppliques, les deux pies tentèrent de lui piquer le nez, qu’elle avait parfois long, surtout lorsqu’elle s’apprêtait à commettre une mauvaise action.
Les enfants ne comprenant pas l’attaque soudaine des volatils, pensèrent qu’ils étaient féroces et voulaient les manger! Ce qui, on s’en doute bien, provoqua l’effet escompté de la sorcière; se voyant poursuivis, ils se laissèrent emmener dans l’horrible bâtisse, croyant qu’ils y seraient à l’abri!
La propriétaire se trouvait déjà sur le palier, maigres onces de chairs sur un squelette apparent. Dents pointues, voix aigüe, thé cigüe…
 – Bonjour les enfants! Je vois que ma grande amie Sulfurieuse nous fait là une belle surprise, entrez donc!
Les deux pies ne perdant rien à la scène, voletaient contre les fenêtres, tentant de les fracasser toutes!
 – Sulfie! Tentez de faire quelque chose pour calmer ces affreuses bestioles, je vous prie, elles me courent sur les nerfs! Et Artichaut, mon corbeau qui n’est jamais là quand il faut!
 – Sulfurieuse tenta de les éloigner, en maugréant ces vilains mots grossiers : «Par ici et par là, par les cornes et les croix, faites que ces oiseaux-là, soient mangés en une fois, par les trolls de ce bois!»
Des ombres fugaces froissèrent les branches, on voyait juste un peu de poussière envahir les allées. Mais que peuvent faire des Trolls aptères, face aux ailes des cieux! La sorcière s’énervait, s’emportait! À ce moment-là les petits, qui avaient compris qu’ils étaient tombés dans un piège, tentèrent de fuir. Mais comme on l’a dit: tout est clos à double tour!
Et la sorcière de reprendre à pleine voix: 
 – Par ici et par là, par les cornes et les croix, faites que ces oiseaux-là, soient mangés en une fois, par les trolls de ce bois!»
 – Nos parents finiront bien par s’inquiéter en ne nous voyant pas revenir! Ils partiront à notre recherche, et nous retrouveront rapidement!
 – Tsss, fit le squelette anguleux et pâle! D’ici là ils reprendront vos corps, mais vos âmes seront à nous! Allez vite, descendez à la cave!
Lili prit la main de son frère en la serrant très fort.
 – On va s’en sortir, t’inquiète pas, dit Lili à Lilo.
 – J’ai peur, fit Lilo.
 – Y’a pire, reprit Lili!
 – Paaaaas de meeeesseee baaasseee, lança Sulfurieuse, qui entre-temps était revenue bredouille de sa chasse aux pies! Vous avez tous décidé de me faire «chevrer», aujourd’hui!
Descente des escaliers dans les entrailles de la bâtisse. Murs lépreux, tous inondés d’humidité n’arrêtant pas de suinter de toutes parts. Ça remontait de dessous la terre. De dessous le sol. De partout où ça descendait trop bas. Les petits en étaient tout effrayés, mais la propriétaire les poussa sans ménagement dans une cellule aménagée à cet effet.
 – On attend le Père Ciboire, c’est lui qui va s’occuper de vous, avec son entonnoir à attraper les âmes!
Lilo, effrayé, se blottissait contre sa sœur.
 – C’est ça pleurrrrez mes mignons, reprit Sufurieuse toujours en chasse de pies! Et son Artichaut, toujours pas là où il faut!
 – Hêkêhêhêkê! Hêkêhêhêkê! Devant les soupiraux!
 – Vous pouvez toujours essayer de casser les carreaux, ils sont bien plus résistants que vos misérables becs!
Mais Artichaut fondit d’une trompe sur l’encolure de Hêkê! Gros, noir luisant, les yeux jaunes, entre deux rixes râpant ses affreux sons gutturaux contre la grille du soupirail!
Sulfurieuse bondit à toute allure afin de l’attraper définitivement, ce qui fût fait séance tenante!
 – Enfin j’en tiens un! Tu vas voir de quel bois je me chauffe, sale bestiole!
En parlant de bois, elle se sentit raidir partout. Elle avait commis une mauvaise action, son corps continuait sa métamorphose en vieux débris vermoulu.
La propriétaire sortit Lili et Lilo de leur prison, et les jeta aux piedx du Père Ciboire qui, l’entonnoir en main, s’apprêtait à l’enfoncer dans la bouche de Lili!
 – Laisse ma sœur tranquille vieille crotte, laisse-la où je te déculotte!
Lilo rageait, envoyait des coups de pieds dans les tibias de la propriétaire qui le ceinturait au collet.
Un vacarme épouvantable s’ensuivit dans la maison, depuis l’entrée jusqu’aux combles! Sulfurieuse, pourchassée de toutes parts par l’autre pie, Hôkè, n’arrivait plus à s’en défaire! En désespoir de cause, Artichaut tenta bien quelque chose, mais c’était sans compter Lilo qui réussit à mordre l’affreuse logeuse, puis à bondir sur le Père Ciboire qui, entonnoir en mains, commençait d’aspirer la vie de Lili, avec une énorme seringue enfoncée par le trou de l’ustensile!
Artichaut voulut bondir sur Lilo, qui se coucha au sol derrière Ciboire et le corbeau butta le bec grand ouvert dans l’œil du bonhomme, qui lui même tapa fort sur la sorcière!
Sulfurieuse arrivait donc au mauvais moment, en plus Hôkê battait son plein élan sur elle, l’addition de ses malchances lui arracha un bout de peau, qui de toutes manières pourrissait déjà pleinement son visage! La vilaine femme rejoignit la terre, puis entraînée de force, s’enfonça jusqu’aux centre de celle-ci, bien plus bas encore, car pour elle il était encore trop froid, plus bas que bas, vers cette humidité maudite, derrière le dernier espace noir des démons et malveillants!
Il ne restait que la propriétaire et, lorsque Lili enfin libérée de son emprise, lui enfonça la seringue du Père Ciboire en pleine poire, il ne resta d’elle qu’une vilaine exuvie toute puante, finissant de croupir au sol.
Car la mégère, vieille et toute gorgée d’âmes neuves, n’avait que ce vilain mucus et plus rien d’autre à laisser en héritage sur cette terre!
Ah, la joie! Les pies étaient donc bien bonnes! Ce combat valeureux valut la peine d’être mené à bien!
 – Et nous, finit par articuler Lili, qui croyions que vous étiez de leur côté!
 – Du côté de ces vilaines marâtres? Jamais! Cela fait des années que nous tentions de les percer à jour, et c’est le jour qui a fini de les percer!
Alors, dans la maison moribonde, toutes les âmes prisonnières des enfants qu’elles avaient séquestrés, furent libérées, s’échappèrent du souterrain en mille chandelles stellaires, tandis que instantanément, les ronces se gorgèrent de baies et que nos deux enfants enfin se réveillèrent…
De leur cauchemar, étrangement commun…
Luciano Cavallini
Membre de l’Association Vaudoise des Ecrivains, (AVE)
© Luciano Cavallini, novembre 2014, Contes de Noël pour enfants. «Histoire de la sorcière Sulfurieuse» – Tous droits de reproduction réservés.