La légende du Sentier aux Roses
Emilie se reposait, au bord du sentier, du côté de la Collonge, sur l’herbe de la prairie. Blanchette, la chèvre, broutait à côté d’elle, faisant tinter sa petite sonnette d’argent à chaque mouvement de sa jolie tête.
Les oiseaux, perdus dans le feuillage touffu des noyers, lançaient au soleil leurs mélodieuses roulades. Dans les vignes, les paysans “fossoyaient”.
La jeune fille regardait toutes ces choses lorsque l’horloge de l’église de Montreux, qui levait à droite sa flèche de pierre, sonna deux heures du soir. La note retentit sonore, vibrante, et se perdit dans l’espace. Emilie se leva, lassée.
– Ah! qu’il fait chaud, dit-elle en tordant ses bras au-dessus de son front; qu’il fait chaud! Ange, mon bon ange, si Dieu t’en donne le pouvoir, garantis-moi de ces rayons brûlants du soleil.
La voix de Lionel, l’ange, lui répondit aussitôt:
Que voudrais-tu bergerette?
Un peu d’ombre sur ta tête?
Ordonne, je suis soumis.
A ta jeune âme si grande,
J’obéis, allons, commande,
L’Eternel me l’a permis.
La capricieuse paysanne resta un long temps à chercher ce qu’elle demanderait; enfin, elle dit:
– O bel ange, je serais si heureuse si une haie de rosiers croissait tout le long du sentier!
Et, comme par enchantement, une lignée de rosiers fleuris, embaumés, sortit du sol avec des feuilles vertes, des nids de mousse où les fauvettes gazouillaient, des fleurs que butinaient les abeilles et des papillons colorés.
Toute la contrée était parée, égayée par cette haie odorante et fleurie. Ce ne fut qu’n cri partout: Le sentier a des roses!
Depuis ce jour, on l’appela Le Sentier aux Roses.
Le soir et les jours suivants, sa vieille mère attendit vainement Emilie. Elle ne reparut plus. Plus jamais elle ne revint; avec l’archange elle s’était enfuie dans l’espace, à la recherche de cette patrie éternelle qu’on nomme le Ciel.
(Extrait de “Contes et légendes de la forêt”, Louis Chardon)