Le blog de VOS histoires

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Paru le: 15/04/2014

La déesse bleue

A ceux dont l’imagination fertile vagabonde déjà dans les contours voluptueux d’une belle femme, je conseille de ne pas aller plus loin dans la lecture de cette authentique histoire. En fait il ne s’agit que d’une DS, une de ces Citroën qui parcourait nos routes dans les années 50. Elle était vraiment bleue. Là s’arête la comparaison avec la déesse. 
On était en août 1958, autant qu’il m’en souvienne, et ce jour-là il faisait un temps splendide. A Clarens, la Rue du Léman – où j’habitais – était silencieuse, semblait endormie sous le soleil. Au troisième étage du numéro 3 je me préparais pour aller aux “bains payants”. Pieds et torse nus, vêtu d’une “cuissette”, ce vêtement que bien plus tard on nomma “short” pour faire bien, j’étais accoudé à la fenêtre, guignant l’arrivée d’un copain.

Au bord de la route devant les bureaux de l’Entreprise Biasini stationnait la DS Pallas bleue de Monsieur Léonov, architecte de son état. C’était un solide gaillard de près de deux mètres qui habitait juste en bas de la Rue du Léman, de l’autre côté de la route. 
Lorsque je vois la voiture démarrer et descendre lentement vers le carrefour je n’y prête pas trop attention, mais en y regardant mieux je m’aperçois qu’il n’y a personne au volant. Sans plus réfléchir je dégringole les étages pieds nus et je traverse la route comme un boulet de canon pour rejoindre le véhicule. Il faut dire qu’il ne roulait pas bien vite, mais tout de même le carrefour se rapprochait et il ne s’agissait pas de lambiner. 

Fort heureusement la portière n’était pas fermée à clé. Tout en courant je l’ouvre et je saute à l’intérieur. Je n’avais jamais mis les pieds dans une voiture à la place du conducteur et ça n’a pas été facile d’atteindre la pédale de frein d’autant que le gabarit du propriétaire était bien plus imposant que celui du gringalet que j’étais. Tout doucettement, mais sûrement, on se rapproche de l’intersection sans que je réussisse à freiner cette fichue bagnole. À bout de course, mon pied nu n’arrive pas à appuyer avec assez de force sur la pédale. Saisissant le frein à main je tire violemment dessus et j’immobilise le “bolide” silencieux au fin bord du carrefour. 

Je m’en retourne chez moi sans qu’âme qui vive ne se soit aperçu de l’incident. Essoufflé, mais fier de mon exploit, je reprends ma place à la fenêtre en espérant voir arriver le propriétaire… personne ne vient. Même pas le copain que j’attendais pour aller au lac.
Plus tard, lorsque je rencontre Monsieur Leonov je lui demande s’il n’a pas été étonné de retrouver son véhicule au bord de la route cantonale quelques jours auparavant. Il me regarde d’un air étonné, semble ne rien comprendre à ce que je suis en train de lui raconter et reprend son chemin comme si de rien n’était. Même pas “spasiba”, rien, niet, que dalle. 

Déçu, frustré par la froideur de cet accueil, je me souviens d’avoir pensé “toi mon gaillard si je revois ta bagnole prendre la route toute seule je ne me mettrai pas en quatre pour te la sauver”.

Pierre-André Schreiber