Contes fantasmagoriques de Montreux

Des contes d’aventure, d’épouvante, d’amour à Montreux, basés sur des vérités, des légendes ou… l’imagination du conteur, l’écrivain montreusien Luciano Cavallini,
Derrière les paysages idylliques de Rousseau, il y eût des évènements que nos aïeux ont étouffés: de la romance, de l’angoisse ou de la nostalgie…

Paru le: 23/12/2016

La claire étoile de Claire, conte de Noël

Voici le 10ème conte de Noël de l’écrivain montreusien Luciano Cavallini. L’imaginaire d’une petite fille…

La claire étoile de Claire.
Genre: conte de Noël

Il était une fois une petite fille qui cherchait par tous les moyens à suivre l’étoile des bergers. Mais comment faire, elle était accrochée à la terre, et pire encore travaillait dur tous les jours dans la ferme de son grand père, la bien dénommée “L’orée des bois”, sise juste au-dessous du Cubly.

Ce n’est pas avec un char à foin qu’on escalade le ciel! Pourtant eux, les Rois Mages, ils avaient réussi à entreprendre une longue marche qui n’en finissait plus! Il paraît que cette étoile les guidait sans cesse, nuit après nuit. Très haute dans le ciel violacé, eux hissés sur leurs dromadaires, peut-être se reposant le jour, car même si le soleil est aussi une étoile, elle éreinte les yeux et ne fait qu’éclairer les insupportables occupations et humeurs du monde vindicatif.

Claire ne savait que faire, ni comment espérer par-delà les nuages entourant le lune d’un bel halo argenté; Pégase appartenait au grec, puis la jument du Père Monod était devenue bien vielle et bien efflanquée! C’est à peine si elle parvenait à se traîner jusqu’à sa mangeoire. Les chats sont agiles, eux, ils peuvent escalader les toits, mais quand à grimper sur leurs dos… La même chose avec Bobby, le vieux chien de famille. C’est un chien berger, mais il n’a rien à voir avec l’étoile, il ne sait même pas qu’elle existe et se miroite de nuit sur son écuelle d’eau claire.
Quel casse-tête !

Un matin, Claire eut une nouvelle idée. On disait qu’elle en avait une centaine par jour, mais que Dieu seul savait laquelle était la bonne. Cependant il ne ferait pas bon aller déranger Son Éternité pour rien, car fort occupé avec son Fils; non cette fois-ci elle devrait se débrouiller toute seule, même si la route semblait ardue d’avance.

Celle qui germa en elle découvrons-la sans attendre: on sait que la lumière stellaire nous parvient encore dans l’espace depuis la nuit des temps, même si elle est déjà éteinte à la source, parce que le voyage est si long et fastidieux, l’espace si profond partout, comme une grosse boule qui se gonflerait toujours plus sans encore éclater, alors vous comprenez ce que cela veut dire! Mais songea Claire, si la lumière arrive toujours, elle tisse un pont entre elle et nous, un rais comme on dit. Cependant, jusqu’à preuve du contraire, on ne peut poser les pieds sur un rayon, ça ne tient pas vraiment! Il faut attendre peut-être une nuit de grand gel, ou quelque chose de similaire, en espérant que comme l’eau, le rayon gèle et permette qu’on puisse ainsi se balader dessus jusqu’à retrouver le début de la Grande Aventure! Sauf que ça doit sacrément glisser… C’est plus du funambulisme qu’autre chose.

Claire réfléchit longuement à la question. Son bon grand-père lui avait confectionné une jolie chambre sous les combles, elle savait que chaque année, au vingt quatre décembre, cette fameuse étoile guignait par la lucarne, même mieux, elle y déversait toute sa traîne lactée d’un seul et unique flos le ciel se couvrait de nuages, comment ferait-on?

Il y avait déjà une brume éparse sur le bassin lémanique que la lune illuminait par nappes translucides. C’était tellement beau à regarder! Mais il ne faudrait pas que le lait déborde de la casserole et vienne recouvrir la clairière du Cubly!

Le bon grand-père avait installé le repas de Noël dans la grande salle à manger du chalet. Un vrai festin. Le foyer brûlait, les flammes nerveuses jouaient allégrement avec les noeuds du bois. Elles semblaient voltiger le long des parois, creuser ombres et éclats entre les voussures des poutres et les solives.

Il y avait ce soir-là des pommes de terre cuites sous la cendre, un peu de fromage de chèvre, du beurre confectionné la veille, quelques carottes dans le chauderon suspendu par une forte chaîne au-dessus de l’âtre. Mais le miracle viendrait au dessert, le luxe suprême, le cadeau tant attendu toute l’année durant: une mandarine plantée d’une bougie et une orange piquetée de clous de girofle. Après on éplucherait la mandarine en deux parties, en prenant bien garde de ne pas détruire le nerf médian, puis on découperait de petits motifs dans l’exuvie supérieure. Pour le bas, on remplissait ce réceptacle improvisé de beurre fondu puis on allumait le tout. Cela formait un magnifique petit lumignon odoriférant, orangeant délicatement les belles serviettes de table que l’on sortait uniquement aux grandes occasions.

Oui, elle était bien gâtée, Claire. Mais cela ne lui suffisait pas, elle voulait savoir et connaître l’endroit où devait naître ce nouveau Roi, voire le rencontrer, même bébé enfoui au fond d’une crèche! Puis, ils avaient aussi eu des bêtes comme dans l’histoire, à savoir des ânes et des boeufs, mais ceux-ci pour vrai, devaient être bien merveilleux par rapport aux autres! D’autant plus que l’histoire recommençait chaque année, donc il ne se fatigaient jamais… Bon, entre deux Noëls, ils devaient quand même bien se reposer, tout de même, et je pense qu’on devait les gâter de bons fourrages!

Claire mangea de bon coeur, car elle se dit que là-haut, sur le rayon de l’étoile, le froid deviendrait mordant, aussi était-il important de prendre beaucoup de forces avant ce grand voyage, le plus possible.

Grand-père était joyeux. Il joua même de l’accordéon, du cor des alpes, et bourra plusieurs fois sa pipe avec les bonnes herbes aromatiques glanées sur les chemins environnants.

Enfin, l’heure tant attendue de monter dans la chambre arriva. Instant furtif mais magique passant du vingt-trois au vingt-quatre décembre d’un seul coup! Le grand-père embrassa sa petite fille en la serrant très fort contre son coeur, afin de remplacer mère et père ayant disparu tragiquement dans un accident de traîneau. Celui-ci, devenu incontrôlable sur la descente Sonloup – Les Montagnards, dévissa dans les ravins de Saumont, un soir triste de gel sans lune. C’était ainsi. Claire savait qu’ils étaient là avec elle, dans une grotte nommée Coeur, puis aussi partout dans chaque étoile du ciel, scintillant leurs myriades de regards compassionnels et béants sur l’enfant veuve.

Elle s’assit au bord du lit après avoir ouvert la lucarne à la froidure de cette nuit cristalline. Mais elle fut retardée longtemps par des flammèches de brouillard la chicanant sans cesse jusqu’au moment opportun. L’étoile emplit l’espace ainsi constitué entre le carreau du toit et le pan mansardé. Il fallut se redresser sur le séant, tendre les bras, attraper de toutes ses forces la corde lumineuse et scintillante de gel, donc devenue compacte à souhait!
Brrr… Cela fut froid et glissant, très glissant, et les débuts de l’ascension demeuraient affreusement pénibles. Mais lorsqu’on veut découvrir un enfant roi, que ne ferait-on pas! Noël n’était que cela, on ne rencontrerait rien d’autre dans le ciel. Saint-Nicolas était déjà passé depuis longtemps, le reste c’était de la magie illusoire que l’on n’apercevait que si l’on voulait bien s’y laisser ensorceler.

Accrochée à califourchon sur le pont suspendu d’une sonde vespérale, elle voyagea ainsi de la cheminée tuilée en direction des sables sacrés et chauds, des maisons blanches dessinées à la craie par-dessus les dunes.

C’est alors qu’elle aperçut en contrebas et discrète, cette toute petite étable parfumée d’encens, de benjoin et de myrrhe, qu’elle entendit retentir un pleur d’enfant, et vit deux animaux attentifs, bruissant d’haleines tièdes se mêler à la paille et à l’or des présents révélés.

En bas, dans la vallée, enfouis sous les bouchons humains, les cloches du temple de Clarens tintèrent, il était minuit pile.

Le voyage ne dura pas une éternité, juste à peine quelques secondes dans l’espace et le temps et l’imagination réelle d’une petite fille à qui les songes sacrés d’une nuit Sainte, avaient offert tout ce que l’étoile des mages avait illuminé et colporté depuis son long voyage de deux-mille ans. On pouvait voir encore ce que la lumière avait touché et traverser, le sentir persister entre l’âme et le coeur.

Une petite fille dormait paisiblement sur sa couche, à moitié découverte, lucarne ouverte, que le grand-père attentif recouvra après l’avoir longuement réchauffée de sa présence, irradiant sagesse et miséricorde.

Il ne vit pas le miracle effectué à la dérobée; ni que la fillette dormant à poings fermés gardait quelques éclats d’encens et de benjoin enfouis au milieu de ceux-ci.

Pas plus que sur son front pur et immaculé, les traces qu’avaient laissées les quelques gouttes de feu l’ayant empêchée d’avoir froid entre le voyage ouvert du monde, l’intérieur des foyers de l’âme et l’esprit ceint aux Gloires.

© Luciano Cavallini – Contes fantasmagoriques de Montreux, MyMontreux.ch, Conte de Noël – décembre 2016, “La claire étoile de Claire” – Tous droits de reproduction réservés.