Contes de noël pour enfants

L’écrivain montreusien Luciano Cavallini (qui nous gratifie chaque lundi d’une histoire fantasmagorique dans le blog “Terreurs et Angoisses de Montreux” – il reprendra en janvier) a écrit une série de 6 contes pour enfants, à raconter à vos enfants sans retenue. Nous commençons aujourd’hui. Il y en aura chaque lundi.

Paru le: 11/12/2017

La cheminée magique

La cheminée magique

Conte de noël 

Il neigeait très fort sur l’Adversan, ce vallon quittant Orgevaux et s’élançant vers la combe du Vallon de Villard. Mais le petit chalet de bois clair perdu dans la tourmente se trouvait muni d’une très haute cheminée, c’est d’ailleurs à cela qu’on le reconnaissait d’où qu’on se trouvât; un carré clair posé d’un seul bloc sur le sol, avec ce trait tiré de crépis blanc s’en allant rejoindre les nuages, ou appondre ses propres panaches de fumée aux nues résiduelles.

 

C’était une construction plutôt sommaire constituée d’une seule pièce et d’un étage cognant les poutres du toit. Mais il avait quatre fenêtres, quatre fenêtres hautes et fières ouvrant sur les quatre points cardinaux.

Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, point de toile cirée et de petits rideaux à carreaux rouges et blancs. Juste une table basse, des chaises conçues à la hache, un buffet-vaisselier et une autre étagère rompue à tous les travaux domestiques.

 

Cependant ce qui donnait toute l’ampleur à cette modeste habitation, c’était cette énorme cheminée alcôve, si large qu’on aurait pu penser qu’elle était la deuxième pièce de la maison. Puis, si on levait la tête, tout en haut, bien plus haut encore, par les nuits de pleine lune blanchies de givre, on pouvait y percevoir les cieux et deviner les étoiles. Parfois des flocons de neige venaient même à la rencontre des vieilles cendres, si par mégarde on avait oublié d’articuler le clapet clôturant l’orifice. Alors, d’une manière éphémère, on apercevait de jolies parures stellaires brocher la grisaille de l’âtre.

 

La petite Sandrine Maugins vivait ainsi depuis cinq années toute seule avec son grand-père. Elle savait bien ce que représentait la nuit du vingt quatre décembre: cela faisait quatre fois qu’elle veillait l’orifice de cette antre magique, afin de voir apparaître celui qui donnait les cadeaux. Le vieux grand-père pour l’occasion, suspendait ses chaussettes usées jusqu’à la corde sur le tablier de cette fameuse cheminée, en y fourrant au dernier instant quelques noisettes que Cerfeuil, l’écureuil débonnaire du grand sapin avait bien voulu lui mettre de côté. C’est que là-haut, en Adversan, on vivait en belle harmonie avec la nature! Il n’était nullement question qu’on lui jouât des tours pendables, ni que l’on chassât des animaux.

Aussi avec un toit doté d’une telle cheminée, muni d’un âtre si large, il était facile pour un gros bonhomme de confortablement s’installer dans cette alcôve spacieuse.

 

Sandrine avait déjà posé quelques mandarines sur le rebord des fenêtres; il avait fallu économiser toute l’année afin de pouvoir se procurer ces quatre là. On les découperait ensuite délicatement en deux, puis avec la petite mèche reliant l’axe du fruit, on constituerait une lanterne qu’on remplirait de vieux beurre rance. Sur l’écorce supérieure évidée, on y scarifierait à la pointe d’un canif de petites formes étoilées qu’on déposerait ensuite sur la mèche et cela donnerait un  nouveau dôme tout beau et éclairé de l’intérieur.

 

En tout et pour tout, se serait les seules bougies que l’on posséderait pour l’occasion, aussi il fallait être très prudent et méticuleux en les confectionnant.

 

Pour le sapin, il y avait celui frôlant les fenêtres, protégeant l’ensemble du chalet de sa haute et bienveillante stature. Si le ciel était couvert, il y aurait suffisamment de neige au sol réverbérant un peu de clarté, cela suffirait pour nimber le bon gardien qui semblait s’illuminer entre ses branches. Si au contraire et par bonheur le ciel était constellé d’astres, alors ces petits diamants vus depuis l’intérieur tiède de la demeure donneraient l’impression que le beau sapin s’était muni de diadèmes luminescents sur chaque aiguille.

Il serait toujours majestueux, été comme hiver et surtout vêtu de la sorte par les apparats naturels de Noël, il n’aurait pas besoin comme tous les autres de sa famille qui,après avoir été vénérés et décorés de toutes sortes de choses mirobolantes, se retrouvaient soudainement délaissés sur l’asphalte glacée d’un coin de rue.

Il survivrait toute l’année à venir, servant de rempart au renouveau.

 

Sandrine battait des mains en voyant son grand-père préparer la fête. On cuirait les châtaignes sur les bûches puis on en ferait une belle purée. On mouillerait cela d’un peu de beurre et de cassonade, ce qui était bien car ça servirait à la fois de repas principal et de dessert. Puis vers la minuit, peu avant Orgevaux, on irait – dans le modeste cabanon servant de chapelle et surplombant les bains de l’Alliaz – offrir une petite prière au créateur de toutes choses, en brûlant de la résine de sapin en guise d’encens.

 

Enfin, comble de joie, on attendrait, clapait ouvert, que le bon Monsieur atterrisse dans les prés environnants avec ses rennes et se faufile ensuite par le puits magique du grand-père.

 

– Grand-père comment ça peut voler des rennes?

– Elles mangent le lichen magique de la forêt du Père-Poël.

– Alors si on en mange on peut voler aussi?

– Oui mais pas pour longtemps. On risquerait vite de s’écraser au sol! Puis il faudrait aller jusqu’en Finlande pour en trouver de ces lichens et c’est un peu loin, à pied.

– On pourrait pas y aller en traîneau?

– En traîneau se serait encore plus cher et on n’a pas de bourse pour ça.

– Alors je sais ce que je vais demander au Père Noël. Je vais lui demander une bourse.

– Oui, bonne idée, essaie. Cependant n’oublie pas de lui dire de la remplir, car comme il prend tout au mot, il te donnera sûrement la bourse mais sans rien dedans! On le dit parfois si distrait…

– Oui, oui, t’inquiète pas, je lui dirai de ne mettre que des gros sous.

– Les petits font l’affaire aussi, mais il faudrait une plus grosse bourse. Sauf que…

– Sauf que quoi, grand-père?

– Sauf que je sais pas vraiment si parler d’argent ça va avec Noël.

– Ah bon ? Pourquoi, se serait mal?

– C’est pas que ce soit mal mais… En cette période il faut l’utiliser que pour les autres, sinon ça marche pas. Pour nous ça ne serait que de la fausse monnaie.

– Eh bien on lui dira qu’il en donne aussi un peu pour qu’on puisse offrir une nouvelle poupée à la petite Cathy.

– Ah Cathy, ta petite copine?  Mais tu sais bien que ses parents ont tout ce qu’il faut, eux.

– Oui mais elle a une maladie grave, tu sais…

– Pour cela on ne peut rien faire avec l’argent d’une poupée, Sandrine. Il faut plus que ça. Il faut du coeur et de la charité. Et ça s’achète pas facilement.

– Pourquoi, c’est trop cher?

– Non, mais ces magasins n’existent quasiment plus.

– Alors, on donnera sans acheter.

– Et sans que cela se soit vendu, ce qui est encore mieux tu as bien raison!

 

Vers la minuit ce vingt quatre décembre, grand-père s’absenta pour aller chercher des aiguilles de sapin et un peu de résine, pour le thé de Noël. Sandrine admirait émerveillée la cassolette toute emplie de neige scintillante à raz bord et qu’on ferait fondre sur la braise, le moment voulu, pour le bon thé et pour cuire les châtaignes.

 

C’est alors que la grande cheminée s’illumina d’un coup, qu’il y eut un grand bruit provenant du toit; alors on put voir là, tout en haut, la belle étoile de Noël saturer d’un rais dense la large gueule du donjon.

 

Une cheminée, c’était vraiment magique! A la fois puits, passage et donjon, reliant la terre avec un autre monde, mêlant ses fumerolles avec les hauts nuages.

 

Puis enfin, non sans souffler comme une locomotive, un grand et gras Monsieur y descendit précautionneusement, tenant en sa main une belle sculpture en forme de croix pour les bras et le corps, la fameuse poupée de Noël tant attendue depuis si longtemps, mais que Sandrine n’hésiterait certainement pas à léguer à son amie Cathy.

 

Sandrine serra très fort le bonhomme entre ses bras, avec sa poupée ma foi toute maculée de suie, mais ça faisait rien: la neige, le givre, Noël, tous étaient là pour immédiatement reblanchir toute forme de guigne.

 

Puis Sandrine aimait bien rester un moment toute seule avec ce bon monsieur qui ne lui faisait pas si peur que cela et ressemblait tellement à son grand-père…

 

© Luciano Cavallini, Membre de l’Association Vaudoise des Écrivains (AVE) & MyMontreux.ch“Contes fantasmagoriques de Noël”, “Le puits magique”, décembre 2017. – Tous droits de reproduction réservés.