L’œuvre au blanc
Voici le 42ème conte de l’écrivain montreusien Luciano Cavallini. Tous ces contes se passent sur la Commune de Montreux.
L’ŒUVRE AU BLANC
Genre: Fantastique
À Jenny B.
C’était un soir doux de juillet et pas une brise ne ridait les flots du Léman. Nous devions partir en expédition sur l’Île des Mouettes, ou encore Île de Salagnon.
Un trésor semblait s’y cacher, trésor qui avait, dit-on, le pouvoir de changer la matière en lui donnant une nouvelle stabilité moléculaire. En gros, il était dit que dans les sous-sols de cette île, se cacherait la fameuse pierre philosophale des alchimistes.
J’étais avec mon ami Isidore Deroy, un féru de sciences occultes; nous passions nos soirées à décrypter la manière de travailler le Grand Œuvre, et nous savions qu’il y avait corrélation entre cet endroit, le Domaine des Avenières, le Salève et l’Egypte. Cela agissait comme une espèce de pile énergétique, dont le lac n’était également pas étranger aux valeurs protégeant et servant le Secret.
La maison bâtie sur cette roche par le peintre Chartran, foisonnait d’indications Rose-Croix, dont se servait aussi la franc maçonnerie réformée écossaise, que les traités d’Anderson n’abordent jamais et taisent sans aucune raison logique.
L’Egypte avait été la terre de Hermes Trismégiste, de la science de l’Hermétisme, et ceux qui avaient habité cet endroit de Clarens y revenaient en initiés, en organisant de puissantes agapes auxquelles à chaque fois participaient de nouveaux maîtres en la matière.
Il y avait eu entre autres ce grand Initié, Jean Eugène Klossovsky qui, lui, travaillait l’alchimie appliquée en demeurant reclus des mois, des années durant, à veiller les températures exactes que devaient atteindre les élixirs de transmutation, frémissant patiemment dans les athanors et autres cornues autorisant la Sublimation.
Puis un jour, alors qu’on allait le quérir sur quelque autre problème, on ne le retrouva plus. Il s’était comme volatilisé de l’Île. On eut beau chercher partout, Klossovsky demeurait introuvable.
La barque servant à relier la rive n’avait pas bougé, les portes fenêtres restaient scellées, aucun signe de vie n’était plus paru depuis la dernière assemblée, qui en général faisait grand bruit et finissait souvent avec des feux d’artifices créés spécialement pour l’occasion par des spécialistes faisant partie des invités.
Afin que le patrimoine de l’Opus Magnum ne se perde point, ou encore qu’il ne soit pas vilipendé en de mauvaises mains, nous avions trouvé urgent d’aller voir par nous-mêmes de quoi il en retournait sur cette île devenue muette et sourde à toute tentative de rapprochement.
Nous décidâmes donc de forcer le destin, et d’y aller de nuit. Nous pensions pouvoir explorer en paix ce coin solitaire, en toute discrétion.
Nous abordions par le côté midi, en calfeutrant notre barque sous des branchages. Un magnifique clair de lune baignait l’onde de lactescences, l’odeur suave du lac, de l’humidité, de ces humus éveillés sous nos pas qui prenaient nos sens en assaut.
Il fallait être extrêmement prudent, les embruns avaient lissé les pierres et rendu les dalles moussues sur toute leur surface, le moindre faux pas pouvait tourner à la catastrophe.
Une merveilleuse paix régnait partout, suave, seul le clapotis de l’eau interceptait le silence par son bienveillant bercement.
Tout semblait vivant et nous observer; chaque pierre avait sa fonction propre, aucun muret n’était là par hasard, tout avait été calculé en tout, avec les divines proportions du nombre d’Or que nous entendions susurrer partout.
Les ombres et les nombres s’en mêlaient, bien qu’il fasse nuit, par leurs capes mauves provenant de la végétation luxuriante affleurant les façades.
Nous tentions de contourner l’îlot, afin de trouver une quelconque faille permettant de pénétrer à l’intérieur de la maison, sous la surveillance des hauts peupliers frémissant de leurs silhouettes devenant parfois inquiétantes.
On ne voyait rien d’autre, aux alentours, qu’un rivage paraissant soudainement lointain, comme appartenant déjà à un autre monde, et ce lac immense s’épandant d’un liquide noirâtre en y mêlant les gouaches diaphanes du ciel.
Il y avait un drôle de parallèle, entre les inflorescences disproportionnées que l’on pouvait partout rencontrer, des rosiers à profusion, des glycines aux larges troncs, des iris aux grasses volutes et des pivoines, puis cette boue aqueuse que les racines suçaient en s’épaississant, tels des reptiles louvoyant volubiles dans cette abondance de sèves et de putréfactions.
Nous voguions dans le parallélisme alchimique même, toutes les phases du putride semblaient ici se développer, naturellement, peut-être même jusqu’à l’Oeuvre au Noir.
Il était convenu que nous serions obligés de fausser les portes fenêtres, puisque nous n’arrivions pas à pénétrer plus simplement à l’intérieur de la maison.
On savait aussi que nous ne pourrions pas opérer comme de vulgaires malfrats, mais que cette opération délicate devrait se faire avec tout le respect que requérait cet endroit Saint.
Mon ami Isidore laissa tomber l’idée du pied de biche, s’employant plutôt à utiliser d’abord la feuille de cuivre, afin de passer entre l’interstice des fermetures et atteindre le loquet. Bien qu’il soit impossible de cette manière-là d’activer la chevillette. Cela nous répugnait, mais on dût se rendre à l’évidence: nous ne pourrions rentrer sans l’aide du ciseau de diamant. On fit donc un rond bien ciselé sur le carreau, rond qui céda à peine lui avait-on occasionné un léger à-coup. Par bonheur une clé interne s’y trouvait, on n’eut qu’à lutter contre rouille et grincements avant d’y faire façon.
Lorsque nous ouvrîmes la porte pdu atio, une atmosphère confinée nous saisit la gorge. Haleines épaisses des siècles qui avaient séjourné là, sans ne jamais avoir été une seule fois dérangées. En effet des housses inquiétantes disposées sur les fauteuils, semblaient des spectres endormis que la brise et la crudité du carreau cassé dérangeaient parfois. Rien n’avait bougé, les murs conservaient les impressions qui les avaient enduits, tout un temps passé dont le ressort ne s’était plus déroulé, et qu’on retrouvait tel qu’il fût, demeuré à la même place et dont les objets témoins rendaient une vie pour la moins inquiétante.
On ressentait une impression de malaise à déranger cette opacité, puis nous nous sentions aussi saisis par un sentiment d’hostilité, car il sembla que tous ces objets hétéroclites meublant le salon, n’appréciaient guère avoir été dérangés d’une manière aussi cavalière de notre part.
Les vieux miroirs sous les tulles nous observaient d’un tain glauque, les chandeliers, hauts sur tables, les torchères fixées aux murs, arpentaient en fers de lances ainsi qu’une béliaire feignant vouloir s’activer en sonnant l’alarme, tout ceci nous donnait l’impression que nous n’aurions pas dû entrer de la sorte, sans passer par tous les rituels requis d’avance.
Mais qu’y pouvions nous, pauvres ésotéristes en herbes, voulant retrouver la Materia Prima, dans un endroit supposé la contenir?
On entendait l’eau mugir de partout, l’eau conductrice s’agitait par vagues; le grand champ du Léman, on l’écoutait rouler au loin les secrets de ce rivage et, par résonance, éveiller des ondines d’écumes, qui iraient de leurs échines argentées colporter ailleurs les bruissements qui s’ourdissaient sur l’Île habituellement tranquille.
Nous partîmes directement à la recherche des cornues, d’abord dans les cuisines. Mais nous ne trouvions que de vieilles assiettes à fleurs poussiéreuses, des brocs liserés de fines lignes azurées, des verres épais et opaques, mais sans plus. Rien de ce qui nous intéressait ne fut découvert.
Nous faisions le moins de bruit possible. Cependant…
Cependant, oui, à ce moment-là, alors que nous quittions la pièce, un brusque courant d’air tout empli d’humidité âcre nous saisit à la gorge. Il y eût aussi comme un bruit, une plainte, puis ce qui sembla être des pas, s’éloignant de notre point, qui s’enfuyaient, rapides, en direction des caves.
Notre sang ne fit qu’un tour et quitta nos jambes, tandis que dans nos poitrails un tambour battait retraite!
Serait-ce vraiment là que nous pourrions retrouver l’élixir de l’énigmatique Conte de Saint Germain?
La beauté a toujours cotoyé les Mystères, pourquoi pas ici, au Clarens de St-Preux, plutôt qu’ailleurs?
Isidore et moi, avons continué notre descente dans les entrailles de la bâtisse. Des escaliers caverneux, tout empreint d’obscurités fugaces. L’eau suintait par les fissures ou lézardes plus discrètes; à notre arrivée, mille petits yeux rouges se mirent à grouiller partout, tandis que je sentais des pattes s’agripper sans merci à mes jambes.
Des rats! C’était des rats! Il y avait partout des rats en surnombre… aussi quittions-nous au plus vite cet endroit maudit qui ne révèlerait rien d’autre apparemment que pourritures et moisissures à l’envi.
Isidore s’était fait mordre, il ne faudrait désormais plus rester longtemps sur l’île car il risquerait l’infection à court terme.
Nous décidâmes de retourner à terre, et de revenir le lendemain soir, ce qui laisserait du temps pour bien désinfecter la plaie.
C’est alors qu’à notre plus grande stupéfaction, nous vîmes que notre embarcation avait disparu! Nous eûmes beau chercher partout, peine perdue! Aucune trace de cette dernière. Retourner à la nage? C’était possible. Au pire des cas. Nous rechercherions encore avant d’envisager cette extrêmité. Il n’y avait aucune porte, ni aucune niche susceptible d’escamoter une barque, à croire que nous étions vraiment confrontés à de la sorcellerie!
Nous décidâmes de retourner à l’intérieur afin de rechercher notre embarcation. Pourquoi à l’intérieur? On pensait qu’elle ne pouvait avoir été dissimulée que dans les flancs de la maison. Puis peut-être que, parmi tous ces dressoirs recouverts, on trouverait un peu d’alcool pour désinfecter la blessure qu’avait contractée Isidore sur la main.
On fouilla dans des nébuleuses de poussières pour enfin trouver une petite fiole semblant contenir un esprit quelconque. Ce devait être de l’alcool à noyau, comme de la prune ou du kirsch. J’en fis couler sur la blessure à large flot, alors que nous entendîmes, et cette fois-ci bien plus distinctement qu’auparavant, des pas précipités dans les étages. Nul doute que ceux-ci étaient directement liés à la disparition de notre embarcation.
Mais pourquoi et dans quel but?
Après nous être oblitérés du chef, nous décidâmes de monter dans les étages, tandis que que je déchirai à la hâte un bout de nappe afin d’en constituer un pansement de fortune pour Isidore.
Nous ne vous cachons pas que nous avions le souffle court en escaladant les premiers degrés de cet endroit tortueux à souhait!
Une présence nous attendait, car les bruits s’arrêtaient net, tout proches. On sentait qu’une masse quelconque retenait son souffle, tapie dans un angle; c’était – comment dire – un esprit compact que l’on sentait s’amuir à dessein, créant des noirceurs, peut-être empilées contre les anfractuosités de cet endroit disparate.
Nous ne savions guère si nous serions assommés, bâillonnés ou ligotés aussi sec! Ce dont nous étions sûrs, en revanche, c’est qu’il nous était désormais totalement impossible de revenir sur nos intentions, qui demeuraient ce qu’il y avait pourtant de plus pacifiques, mais le comprendrait-on? Nous serions vite renseignés sur les projets secrets de cette présence nous poursuivant, ou nous guidant plus précisément à dessein, vers le juste lieu de la maison.
Il y avait quatre puissants chandeliers surmontés de cierges blancs, avec une table ressemblant à un autel, recouvert d’une magnifique nappe brodée de roses démarquant tout le pourtour, plus une autre, large et épaisse en médaillon sur le devant, en totale inflorescence, éclatant d’un vif écarlate et entourée de gouttes blanches.
Un homme se trouvait assis là, assez voûté, portant une large tenue violette d’ecclésiastique, avec capuche.
Lorsqu’il redressa la tête, nous vîmes qu’une longue rivière de cheveux blonds s’écoulait au tréfonds de la bure.
Nous ne fûmes pas longs à reconnaître l’étrange personnage nous fixant ainsi de ces immenses yeux d’acier, placides.
– Jean Eugène Klossovsky, interjections-nous en chœur et d’un unique élan!
– Lui-même. Je vous attends depuis longtemps. Vous avez été longs à me trouver.
Sa voix semblait profonde et diffuse, pesée, sans émotion. Posture hiératique, le moindre de ses gestes demeurait contrôlé.
– Je vois que mes petits amis rongeurs m’ont précédé… mais à l’heure qu’il est votre blessure est réparée et vous pouvez retirer ce pansement inutile.
Je regardais Isidore désappointé. Il est vrai qu’il ne s’était plus plaint du tout concernant ces vilaines morsures.
– Je vous promets, ôtez ces bandages encore moins hygiéniques que les canines de mes rats.
Isidore s’exécuta, non sans une certaine crainte. Cela allait sûrement raviver la douleur, ou à nouveau saigner. Mais Klossovsky avait une autorité magnétique qui, même si elle paraissait bienfaisante, n’en était pas moins ferme.
Le bandage ne fut pas long à être défait: de plaie il ne restait plus aucune trace, une peau beaucoup plus neuve avait pris place de l’ancienne, attaquée depuis de longues années par les philtres et liqueurs, servant aux expériences de transmutations.
– Oui c’est possible, fit Klossowsky. Je l’ai. Ce n’est pas du vulgaire alcool de fruits à noyaux, qui vous a désinfecté les morsures de mes rats. C’est à dessein, que j’avais mis en évidence ce flacon sur le dressoir.
– VOUS L’AVEZ!…?
Nous avions compris de suite de quoi il en retournait: Klossovsky enfoui sur son île, y avait caché le résultat du grand œuvre.
– Mais il ne m’en reste plus beaucoup, et c’est pour cela que je suis ici, pour en confectionner à nouveau. Le processus étant très long et les veilles épuisantes, je ne sais si ma misérable vie me restant suffira à ce que j’y parvienne. Il faut de l’ombre et de la putréfaction, toutes les putréfactions possibles. Vous n’ignorez rien de tout cela. Certaines lames du procédé changent, car vous n’êtes pas sans savoir non plus que l’expérimentateur n’est pas séparé de l’expérience et de sa résultante. Hors mon âge fait en sorte que ma vitalité décroit. Je ne suis plus ce prince charmant insufflant le souffle de vie à l’œuvre au blanc émergeant de l’athanor. Je me sens bien moins fort que l’année précédente et il en sera ainsi de suite pour les suivantes, qui me fragiliseront toujours plus.
Cet endroit me sépare des champs terrestres drainant encore une énergie précieuse qui pourrait, sans elle, être inutilement captée par un sol perméable et dispersée inutilement aux vents.
Avec cette eau en mouvement, tous ces courants, ces différents canaux thermiques, je gagne en mouvances fluidiques qui peuvent se mettre en accord avec mes propres flux liquidiens, et vice-versa, évidement.
Je suis comme au milieu d’une puissante batterie, dont l’eau est à la fois un isolant et un conducteur, reliés eux-mêmes aux champs telluriques de plusieurs autres endroits non loin d’ici qui s’unissent afin de former un arc entre eux, calculé avec précision, pour finalement traverser mon corps et la cornue, tempérée de manière constante, sur laquelle je pose les pieds afin de constituer en final un circuit fermé agissant sur liqueurs et solutés.
Rien de ce que nous entreprenons n’est une seule fois séparé du grand cosmos, de son Architecture, jusqu’à notre milieu ambiant, jusqu’à la miette de pain dont les atomes interpénètrent les hautes énergies et les rapportent au plus haut, comme au plus bas.
La ligne de notre corps ne démarque que l’intermédiaire ligne de flottaison sur laquelle notre vaisseau terrestre navigue.
– Nous sommes donc là, repris Isidore… Afin que la trinité soit réunie pour achever le Grand Œuvre.
– Exact, je vois que vous comprenez vite. Il faut être trois pour parvenir à l’octave suivant, à savoir la grande transmutation finale, le Bain Nuptial qui fera qu’enfin l’épais pourra se séparer du subtil et se condenser au fond de la cornue en Sidus Sideris.
– Ou de l’Étoile Sirius, ou encore de David, dont les branches se cristallisent de manière précise au fond de l’éprouvette, une fois les métaux refroidis.
Alors, en démoulant l’appareil, au-dessous, on voit paraître…
– On devrait trouver l’or le plus pur du monde, avec une densité de carats pouvant passer du simple au double.
– Combien de temps. Je veux dire, de combien de périodes devrions-nous disposer, en tenant compte des arcanes et des lames du tarot astrologique, ainsi que des forces telluriques et magnétiques terrestres mises en commun pour le Travail?
– Tois ans, à partir de maintenant, si l’on s’y attelle jour et nuit!
– Ici! Sur cette île?
– Eh bien,jeunes gens, ce n’est pas le pire des endroits, ne trouvez-vous pas, pour tenter d’accomplir et d’appréhender les lois du Grand Architecte de l’Univers, traversant toute matière et organisme vivant, vitalité unique engendrant les âmes, mouvant les corps, et composant la grande symphonie hétéroclite des sentiments.
– Si imparfaits-soient-ils…
– Parce que n’éprouvant pas le feu des transmutations et la patience de l’athanor. Parce que vivant une vie totalement insignifiante et indigne d’êtres aux hauts potentiels d’âmes en éclosion. Aucune occupation de mes semblables ne m’intéresse, aucune. Seul le silence de l’établi, scellé dans l’atelier des réflexions, approchant des mystères, donne un sens à cette vie humaine si difficilement acquise!
Nous devons rendre compte de ce pourquoi on nous a placé ici-bas, en tant qu’ouvrier. Nous ne sommes pas en ce lieu uniquement pour jouir des fruits poussant aux champs terrestres, et détruire des quintaux d’autres êtres vivants, juste afin que cela chatouille les glaireuses invaginations de nos entrailles! J’exècre les activités de mes semblables et, croyez-moi, en ce qui me concerne je n’aurais pas hésité une seconde à suivre le capitaine Némo aux fonds des mers, pas une seconde!
Au lieu de croupir au milieu des mondanités!
Je regardais Isidore. Nous n’avions jamais l’air de nous être embarqués jusque-là, personne ne nous avait remarqué et notre embarcation s’était volatilisée on ne savait où.
J’hésitais encore, alors que Klossovsky finissait de nous convaincre en ces ultimes explications.
– Nous sommes tous reliés énergétiquement avec le Domaine des Avenières en Haute-Savoie, des méridiens convergeant vers Gizeh, et de la tourelle Serre condensant les rayons lumineux de la tourelle du Château des Crêtes.
Les paratonnerres que vous trouvez aux faîtes des coiffes de tous ces édifices, ne sont que des protections exotériques contre la foudre susceptible de les anéantir et donc d’interrompre, voire d’endommager définitivement, une expérience d’Opus Magnum.
Mais ils ont bien d’autres fonctions, et les fils de cuivre les reliant ne s’arrêtent pas sous terre, ils se poursuivent loin partout, comme des réseaux nerveux, suivez-moi…
Nous descendîmes loin sous terre, ou plutôt sous l’eau. Des escaliers en colimaçon, étroits, en lesquels nous tournions comme une mèche foreuse, de plus en plus profondément.
– Voici, fit Klossovsky, légèrement tremblant. Tout se trouve ici!
Nous ne parvenions pas à entrer.
Spectacle majestueux!
Sous le lac, dont on voyait assez haut miroiter le ciel, semblant du mercure. Une baie épaisse façonnée de vitraux ouvrant directement contre les parois de l’onde, représentant les lames majeures et mineures du Tarot égyptien, avec un Dieu au visage lisse et pur tenant Athanor et Caducée. Puis des filaments de roses, partout, des centaines de boutons de rose s’échelonnant sur des voûtes gothiques avec, à l’arrière, le mouvement des courants, les éclairs vivaces de l’onde éclaboussée de soleil en surface, et des planètes reprenant le cours des ondes.
– Tout y est, Messieurs. L’Art du Gothique flamboyant, ou la puissance des couleurs et leurs diffusions sur la conscience, avec les racines de l’Hermétisme et les ramifications rosicruciennes de ces dernières, sur notre science à nous, les Alchimistes, à savoir Le Grand Œuvre. Alors? Vous restez?
Deuxième échange de regard avec Isidore… Notre barque parut, elle venait doucement flâner contre les baie vitrées, sortie subrepticement d’on ne savait où…
– Ne vous inquiétez pas, Messieurs. Ceci n’est qu’une projection de la surface. J’ai quelque peu modifié le champ vibratoire de cette embarcation afin qu’à vos yeux elle demeure invisible. Mais elle est toujours là, ainsi libre, mais à l’abri de tous regards qui pourraient s’avérer par trop curieux. Vous pourriez toujours en disposer, quoi qu’il arrive, à n’importe quel moment du jour ou de la nuit.
Vous êtes des hôtes et non des prisonniers.
Alors ?
Au troisième regard nous décidions à l’unanimité de rester pour de bon.
En effet qu’avait-il de plus à offrir, le continent? Rien si ce n’est cette insoutenable réalité grisâtre d’occupations toutes plus soporifiques les unes des autres, vie réglée sur le papier musique d’une urbanité socio-culturelle stérile, ballets mortifères de vas et viens insipides et décolorés de tout intérêt.
Klossovsky nous regarda de ses immenses yeux cyan étincelants, tandis que le mauve de sa bure semblait s’iriser sur le fond des vitraux lacustres.
– Messieurs, au travail puisqu’il en est ainsi!
Salagnon possède le sel des transmutations, il est temps que le cercle extérieur comprenne que certaines choses doivent être maintenant révélées, car les temps vont devenir de plus en plus durs et lucifériens.
Occupons-nous de notre axe, car le monde n’est pas ce que l’on croit, il est essentiellement ce que l’on pense.
Et chacun le perçoit devant son seuil, selon la grandeur ou l’étroitesse de sa porte.
© LUCIANO CAVALLINI, membre de l’association vaudoise des écrivains (AVE) – Les contes fantasmagoriques de Montreux, «L’Oeuvre au blanc», Mars 2015 – Tous droits de reproduction réservés.