Contes fantasmagoriques de Montreux

Des contes d’aventure, d’épouvante, d’amour à Montreux, basés sur des vérités, des légendes ou… l’imagination du conteur, l’écrivain montreusien Luciano Cavallini,
Derrière les paysages idylliques de Rousseau, il y eût des évènements que nos aïeux ont étouffés: de la romance, de l’angoisse ou de la nostalgie…

Paru le: 19/01/2015

L’ÉTRANGE ATELIER DU DOCTEUR OLMEÏN GERRIETZ

Voici le 8ème conte de Luciano Cavallini, dans la série “Terreurs et Angoisses de Montreux:

L’ÉTRANGE ATELIER DU DOCTEUR OLMEÏN GERRIETZ
Fiction
Au Docteur Dusan Srnka, chirurgien orthopédiste, mon bon et loyal médecin d’enfance. 

Le pittoresque petit village de Tavel sinuait tout en douceur au-dessus de Clarens, et se composait de deux petites ruelles étroites. Une très ombragée, entassée sur la gauche de massives maisons de pierre s’accotant les unes derrière les autres, avec des persiennes biscornues, certaines surélevées de marches accidentées et fichées à l’intérieur de profondes arcades. L’autre s’élargissait côté lac d’une manière beaucoup plus ajourée, bien plus riante aussi. Sur la gauche habitait l’étrange personnage dont il sera question ici, et, à sa droite, une vieille institutrice rance, qui enrobait ses mains de résilles mauves et menaçait de son index vindicatif, les passants approchant trop près de son potager. Il régnait en ce boyau une humidité constante, lugubre, que pourtant, par instinct de survie, ces fameux potagers en terrasses sauvaient gracieusement. Plus avant encore, la capite de Titi Williams dont on parlera une autre fois, et, en fin de ruelle, celle du vigneron et tueur de lapins Dufils, dont la plantureuse femme s’était spécialisée toute l’année en semis, repiquages et cueillettes de poireaux. Ca sentait l’allium porrum jusqu’à l’estrade de son lit. 

Maintenant que vous savez tout, voici la suite de cette étrange histoire, dont je n’ai actuellement pas encore appréhendé la moindre explication logique. Un jour, par un bel après-midi de juillet, je me faufilais donc en ce frais boyau, lorsque je fus arrêté de suite par un étrange personnage, plantureux, avec moustache abondante et képi dûment fiché sur une tête lourde et massive. Il trônait devant sa cave, dont on avait peine à voir le fond. « Je vous attendais! Je vais vous faire entrer, me fît-il, vous prendrez bien quelque chose en mon modeste atelier?» Atelier, me dis-je, ce trou à rat… Il se présenta, ainsi que ses amis, que je n’avais pas vus, et qui semblèrent se détacher des parois de cette singulière crypte. «Je suis le docteur Olmeïn Gerrietz, et voici mon ami Raoul Oulens – il est belge – et un autre fumeur de cigare invétéré, dit “le chinois” qui lui, à n’en pas douter, est de l’endroit! Vous dégusterez bien un Havane, non? Je ne déclinais point l’offre, amateur que j’étais des farces corsées et des feuilles roulées sur la chair des indigènes. «Je sais que vous êtes médecin et voyez, dans l’obscurité, nous travaillons sur la putréfaction des tissus humains, jusqu’à l’obtention de l’Oeuvre au Noir[1]. Nous vous connaissons bien, nous savons à quel point vous trimez pour l’avancée de la chirurgie, avec votre vénéré professeur César Roux. 

J’étais surpris, oui, on le serait à moins. Tomber sur une bande d’Alchimistes à la Ruelle des pétoles? « C’est ainsi qu’on l’appelle me lâcha subrepticement Raoul Omens, d’un air taquin, à cause des lapins du père Dufils. Vous comprenez.» «Nous allons vous donner un bocal, si vous le voulez bien, vous verrez, il vous recèlera des choses plus qu’intéressantes, concernant nos propres tissus»! L’après-midi s’était estompé, plus aucun rayon de soleil ne filtrait du portique que l’ombre fangeuse, aux grands traits de feuillages semblant grandir de toutes parts. Puis, du fond de cet étrange caveau, le creux ajouré semblant avoir perforé l’obscurité, paraissait s’éloigner de plus en plus vite et loin, à vue d’œil, ainsi que les protagonistes de cette histoire, enrobés de tabac et devenant difformes de disparités. J’avançais péniblement au milieu des ténèbres poisseuses, sentant des regards me perforer la nuque. La remontée n’en finissait plus, le terrain s’inclinait dangereusement, la route, les marches devenaient des étages infranchissables, il fallait que je m’y agrippa de toutes mes forces…

Et les voix terribles, caverneuses, grouillant comme des murènes en fonds de vase me hélaient toujours, je les entendais geindre, ou murmurer, parfois siffler des invectives inintelligibles concernant le parcours que j’avais en ce jour néfaste, il faut bien le dire, décidé d’emprunter. « Attention vers le bois du Châtelard, au contour, il y a la porte des Gingins, on y montait de la poudre, du salpêtre, des gens sont morts là, assassinés pour le Grand Œuvre[2], ils venaient de la forêt, vers l’automne, ramasser les châtaignes et fracasser du gibier pour survivre longtemps à l’ombre des regards indiscrets. Puis l’explosion, puis plus rien! Tout s’est effondré soudainement sur eux, et leurs cornues ont gardé les secrets de leurs découvertes. Tout s’est perdu à jamais. L’obscurantisme, ah! L’obscurantisme et la superstition, l’ignorance, tous, tous ils reprennent une fois ou l’autre leurs vindictes! Les Gingins sont maudits, pensez-y en y passant, avant d’arriver à Planchamp, n’oubliez jamais! Oui, maudits»!

Ils étaient là, massifs, lui, le grand père au Képi, Commandeur en blouse bleue devant la cave, les deux autres à mi-chemin, me regardant partir, m’éloigner, alors que je n’avais eu aucune idée de comment j’avais pu m’enfuir de ce magma! Des rires, des grimaces, un carnaval de faits incohérents, des masques outrageusement grimés gloussaient derrière la face grisâtre du quotidien.

Affolé, tremblant, en arrivant chez moi, avec peine je contais immédiatement à ma femme l’aventure qu’il venait de m’arriver, sans trouver les mots, alors que pressant le pas vers l’entrée des Gingin, il me semblait avoir perçu des gémissements, des plaintes sourdes de loups captifs, ou d’âmes emmurées… « Tu as rêvé, me fit-elle! Tes recherches avec Monsieur Roux t’envoient la fièvre au cerveau, ou tu as pris trop de soleil, depuis le lac jusqu’ici »! – Qu’à cela ne tienne, lui répondis-je, je retourne demain au plus tôt, prendre l’objet qu’on m’a offert et que j’ai omis d’emporter, à savoir le bocal de tissus humains. «Un bocal de tissus humains… Pour sûr, tu divagues mon cher, et d’une manière que je trouve par trop lugubre.» Le lendemain matin, aux premières heures de l’aube, je retournais vers «l’atelier» en question, non sans regarder fiévreusement au passage, la porte murée des Gingin. A force de secouer le grelot à une heure indue, et prenant tous les risques, je me fis, on s’en doutera bien, gravement assermenter par Mademoiselle Lambert, la vieille institutrice, qui, comme on l’a dit plus haut, ne supportait aucun tressaillement inopportun. «Ah, pis c’est à bien faire cette histoire! finit-elle par éclater. Qu’on en finisse une fois pour toutes! Il n’y a plus personne dans cet endroit depuis au moins cinquante ans, si c’est pas plus. Et je ne sais comment vous avez « raperché» le nom de ce maudit docteur, là, ce… Olmaïn Gierrietz Plus personne ne connaît le bonhomme, et ceux qui pourraient encore en descendre sont morts depuis belle lurette, et refusaient catégoriquement de leur vivant, qu’on en parlât, ou qu’on s’en souvint! – C’est que, insistais-je au risque d’être damné, non par un diable, mais bien par une folle furieuse, c’est que je tiendrais fort, afin que vous soyez parfaitement convaincue de mes dires, à récupérer le bocal que j’ai laissé ici, au fond de la cave.- Aaah… Que vous êtes donc têtu! On peut vraiment dire qu’en vous pullule une vraie mule! Pire que celle du Père Dufils quand il faut être deux pour la remuer. Sachant que je n’obtiendrai rien de plus en insistant, je laissais la gorgone pérorer toute seule. « Un bocal? Alors que jamais plus personne n’à pénétré en cet endroit maudit»! 

Au bout de quelques minutes, la mégère revint avec la clé et reprit de plus belle: «Oui, sachez, que même moi y compris, alors que cette maison m’appartient, ne suis en aucun cas retournée en ce… cette…» – Dans ce quoi, Madame, dites-le donc, une fois pour toutes? – Cette caverne du diable, puisqu’il faut vous mettre les points sur les i! Maintenant il ferait beau voir que vous trouviez quoi que se soit là-dedans…

Alors, à ce moment-là, exactement à la place où je fus la veille, se trouvait le bocal en question, certes vide de toute apparence, mais cerclant l’endroit en lequel il fût disposé, d’un total dénuement d’érosion et poussières…

[1] En Alchimie, procédé consistant à putréfier la matière jusqu’à noirceur totale. Le Grand Œuvre étant l’Alchimie elle-même. (NDA).
[1]Voir la légende ci-dessus. (NDA)

Luciano Cavallini. membre de l’Association Vaudoise des Ecrivains (AVE)
© Luciano Cavallini, octobre 2014, «Terreurs et angoisses de Montreux», «L’étrange atelier du docteur Olmeïn Gerrietz» – Tous droits de reproduction réservés.