Contes de noël pour enfants

L’écrivain montreusien Luciano Cavallini (qui nous gratifie chaque lundi d’une histoire fantasmagorique dans le blog “Terreurs et Angoisses de Montreux” – il reprendra en janvier) a écrit une série de 6 contes pour enfants, à raconter à vos enfants sans retenue. Nous commençons aujourd’hui. Il y en aura chaque lundi.

Paru le: 08/12/2014

KIKI LE CANARI

Voici le deuxième conte de Noël pour enfants:

Kiki, le canari 
Les histoires racontées à ma fille Gaïa.
Il était une fois un canari qui s’appelait Kiki.
Il gazouillait toute la journée et n’avait d’autre préoccupation qu’enchanter le voisinage par ses trilles incessantes, s’échappant des fenêtres entrouvertes.
Chaque jour, des tas de curieux s’amoncelaient au pied de la maison, afin d’apprécier son concert et Kiki, bombant le torse, devint très fier d’avoir autant de mélomanes se déplaçant juste pour l’entendre!
Jusqu’au jour où…
 – Toc! toc! toc!
Il fut arrêté d’un coup dans son aubade.
 – Toc! toc! toc!
 – Mmm? C’est quoi! Qui ose m’interrompre ainsi, fit Kiki, piqué au vif et très irrité!
 – Pssssst! Ici! Par là! Par la fenêtre!
 – Quoi! Quoi! Je vois rien?
 – Pas celle du salon, celle de la salle de bain!
Kiki sautillait sur son perchoir, afin d’apercevoir l’intrus, qui osait ainsi le perturber en pleine audition!
 – Là! Coucou!
 – Un coucou! Mon Dieu! Il va voler ma place! Retourne vite dans ta vilaine forêt noire!
 – Que tu es bête! Je ne suis pas un coucou, je suis un autre canari comme toi, mais libre! Viens, on s’en va!
 – Comment ça, partir? Je suis bien ici! Je suscite l’admiration de tous, avec mes couplets! Pis… je suis au chaud, on me donne à manger, on nettoie ma maison… Tu vois, tout le monde s’occupe bien de moi!
 – Peut-être, mais tu es prisonnier dans une cage!
 – Je fais ce que je veux toute la journée! J’ai pas peur d’être chassé par des aigles ou des buses, je vis dans la plus parfaite sécurité, il fait jamais ni trop chaud ni trop froid, et le vieux chat de la maison est tellement perclus de rhumatismes, qu’il ne pourrait même plus faire de mal à une mouche! Tu vois bien! Non, je n’échangerais rien contre cela!
 – Une sécurité de prison, que tu ne veux pas troquer contre un ciel infini? Drôle de vie! Réfléchis bien, je repasserai demain.
Et Kiki, convaincu de sa superbe, reprit ses airs de plus belle!
Le lendemain matin…
 – Toc! toc! toc!
 – C’est quoi ça, encore!
 – C’est moi! Alors? tu as réfléchi à notre discussion de hier?
 – C’est tout réfléchi! Que tu es têtu! Je chanterai ici autant que tu cogneras contre cette fenêtre!
 – Alors tu vas t’égosiller!
 – Vois! J’ai encore gagné du public!
 – Un animal de ménagerie, qui fait son numéro en imitant les humains! Peûh que c’est dégoûtant! Nous ne sommes pas fait pour ça!
 – Qu’est-ce que tu peux être énervant à la fin!
 – C’est pas grave, j’ai tout mon temps! Et tout l’espace aussi! Je préfère l’air des cieux, que l’air que tu chantes! C’est comme ça que je l’entends!
 – Alors tu n’entends rien du tout, car les autres ils apprécient mes chansons!
– Les autres ne vivent pas dans des cellules!
– C’est ce que tu crois! Ils se lèvent tous les matins très tôt pour aller travailler, puis rentrent le soir, fatigués, exténués, dans leurs appartements! Qui ne sont que des cellules plus grandes, de leurs quotidiens prisonniers de conditions bien pires que la mienne! En fait j’en bénéficie, car pendant qu’un grand chef les fait danser aux sons du pipeau, moi, je chante toute la journée à tue-tête!
 – Tu chantes! Tu chantes! Tu imites en plus petit, la singerie des humains! Penses-y, je reviendrai te voir demain matin…
 – Ce que tu es lassant! Je bougerai pas d’ici!
Or, le demain matin, encore…
Deux coups de becs seulement, suffirent à arrêter le Belcanto Kiki.
 – C’est encore toi!
 – Regarde la porte de ta cage, tu ne vois rien? Ooouvre les yeux! Elle est mal refermée! C’est le moment choisi pour s’envoler! Allez! Un bon coup de tête et tu es dehors!
 – Non, non, non, non, non…
 – Je t’attends sur le rebord de la fenêtre de la salle de bain! Je t’aiderai à passer, tu as juste la place qu’il faut! Mais avant, vois, comme c’est agréable, la liberté!
Et l’oiseau libre de voltiger d’une maison à l’autre, de monter dans l’azur, de frôler les fenêtres, puis les nuages, avant d’aller se poser sur le plus haut pignon du village, en faisant des petits signes jaunâtres d’une aile cotonneuse!
 – Alors, reprit-il, une fois revenu sur le bord de fenêtre, laissant Kiki tout désemparé. C’est pour aujourd’hui, ou pour demain, qu’on y va?
Franchement, Kiki commençait à hésiter. Voler comme ça, il savait pas trop ce que c’était, à part ses stupides sautillements d’un perchoir à l’autre.
 – Ecoute… Tu n’as qu’à essayer, tu verras bien! Si ça te convient pas, eh ben, tu n’auras qu’à retourner à ta condition première…
Vous ne le croirez pas, Kiki se décida! Prudemment d’abord, se faufilant hors de la cage, puis passant son corps de petit poussin malingre par l’interstice de la fenêtre de la salle de bain. Aidé par l’oiseau Liberté.
 – Voilà qui est mieux! Alors?
 – Oooooh! C’est vide là dessous! J’ose pas regarder!
 – Un oiseau qui a le vertige, ça n’existe pas!
 – Je ne suis pas un oiseau, mais un chanteur!
 – Tu n’en es pas moins fait pour voler, et même bien voler! Tu es mieux qu’un chanteur, tu es un enchanteur volant! Regarde, c’est facile, tu n’as qu’à te laisser tomber, comme ça!
Kiki en eût le souffle coupé. Son estomac, plus volatil que lui, remonta dans le bec aussi sec!
 – A toi maintenant! Courage!
Hésitations… Une patte s’y risqua. L’autre, aussi. Puis les extrémités. Une brise soufflait fort, léchant les façades attiédies. Elle emporta Kiki sur son aile, qui ne réalisa pas du tout ce qu’il lui arrivait! Il se retrouva si haut, tout d’un coup, si haut! Son cœur battait à toute volée! Il voyait la ville, devenue toute malingre, la maison, son bord de fenêtre, si pitoyable, sa cage… On l’apercevait même plus! Tous les hommes s’effaçaient, on ne voyait plus rien d’eux, que quelques traces crayeuses figurant des maisons, ou des lopins de champs!
 – Alors fit l’oiseau Liberté, le rejoignant! C’est pas mieux tout ça! Hein?
 – La tête me tourne! La tête me tourne! Je suis tout carillon!
 – Bon, tu vois… On n’oublie jamais de voler. On naît avec ça, c’est dans l’œuf! Ne laissons personne nous mettre des barrières, viens, l’espace est à nous! Allons picorer un peu, maintenant que nous sommes chauds, avant d’attaquer le grand saut!
 – Le grand saut! Le grand saut? Et ce que nous venons de faire, là, c’est quoi d’autre?
 – Ce n’est rien par rapport à ce que nous allons entreprendre, mon cher!
Alors Kiki, une fois qu’il se fût rassasié des moindres miettes de pains ou viennoiseries trouvées dans les parcs publics, pour la dernière fois s’employa à laisser le plus merveilleux de ses chants à la Ville, qui l’avait vu grandir, du nid jusqu’à l’envol.
 – Ne regrette rien, Kiki! Ne regrette rien! C’est peu ce que tu laisses, énorme ce qu’il va survenir. En route!
Ils s’élancèrent ensemble, vers la plus belle des aventures, l’un encourageant l’autre lors de fatigues. On se doute bien de qui menait l’escadre!
Ils traversèrent des lacs, ils traversèrent des rivières, ils traversèrent des forêts, ils traversèrent des montagnes, ils traversèrent des mers, jusqu’à ce que…
Vois Kiki ce grand navire avec son haut mât de misaine! Allons nous y reposer! Le bateau va dans la même direction que nous, nous n’aurons qu’à nous laisser naviguer! Puis… je gage que les marins nous gâteront suffisamment de nourriture, nous n’aurons plus qu’à nous servir! Une aubaine ce Palace flottant!
Au bout du troisième jour de ce régime de faveur, Kiki vit poindre une île à l’avant du navire. Terre! terre! fit-il.
 – Oui je sais, attends…
 – T’as vu on dirait qu’il y a des arbres!
 – Oui c’est normal Kiki.
 – Il y a des feuilles jaunes partout… Comme, comme des citrons qui bougent!
 – Des citrons qui bougent! Regarde mieux Kiki!
 – Même qu’on dirait que ce sont des citrons qui volent!
 – Qui volent, maintenant? Des citrons! Kiki, ouvre donc les yeux!
Le Bâtiment longea la côte par tribord, et ces citrons qui bougeaient et volaient, s’avéraient être des… canaris!
 – On est arrivé Kiki! Se sont nos terres!
 – Des canaris! Des canaris!
 – Oui Kiki, rien de plus normal, des canaris. Descendons!
Nos deux oiseaux mirent pattes sur île, mais il fallait rejoindre un point précis.
 – Je vais te montrer encore le chemin, Kiki, suis-moi.
 – Alors, tu connais déjà tout, toi?
 – Tu as confiance en moi? Jusque-là, je ne t’ai ni trahi, ni déçu Alors, viens, je te dis!
Au bout d’un instant de survol à basse altitude, ils atterrirent au pied d’un énorme arbre, qui montait plus haut que le pignon de l’ancien Hôtel de Ville, plus haut que la flèche d’une église, plus haut que tout.
 – Nous ne pourrons même pas voleter Kiki. Il y a trop de branches et nous ne réussirions qu’à déchirer nos ailes. Nous devons y aller en sautillant de branche en branche jusqu’au sommet! Allons-y pour un vaillant et ultime effort! Passe devant, je pousserai par en-dessous!
L’escalade débuta, alerte au début, difficile ensuite, puis de plus en plus pénible!
 – Ah! Oh! Titi! Titi! Ah! Oh! Titi! Titi! Ah! Oh!… Bada dingue!
 – Je me suis froissé la patte, lança Kiki tout larmoyant.
 – Allez, allez!
 – Ah! Oh! Titi! Titi! Ah! Oh! Titi! Titi! Ah!
 – Je me suis froissé le ventre, continua-t-il sur le même ton!
 – Allez, allez, je pousse!
 – Ah! Oh! Titi! Titi! Ah! Oh! Titi! Titi! Ah! ouille!
 – Je me suis froissé la tête!
 – Ecoute Kiki, tu n’es pas un torchon! On est presque au bout! Encore une dizaine de branches, puis c’est fini! Alors…
Alors… Une merveilleuse surprise les attendait. Ils étaient tous deux parvenus au sommet de l’arbre, à l’extrême pointe de l’aiguille piquant les cieux et ne pouvant aller plus haut.
 – J’ai le vertige, repris Kiki!
 – Encore? Je t’ai déjà dit, on ne peut avoir le vertige quand on à même réussi à survoler le ciel!
 – On n’a pas survolé le ciel, il est toujours au-dessus de nous! Tu dis n’importe quoi!
 – On l’a fait Kiki et tu sais pourquoi? Parce que nous sommes allés au-delà de toutes nos peurs. À chaque fois que l’on vainc sa peur, on vole au dessus des cieux, on vole au dessus des yeux. On recouvre la vue. C’est comme ça pour tous ceux qui se bagarrent, afin d’obtenir l’indépendance. Mais regarde plutôt autour de toi…
Aux alentours de Kiki et l’oiseau Liberté, tous les autres canaris de l’arbre, tous les autres canaris de l’île, vinrent se rassembler et faire une ronde joyeuse pour accueillir les nouveaux venus. Et jamais chants de canaris ne furent égrainés aussi mélodieux, aussi beaux, que ceux que l’on put entendre ce jour là.
Alors, Kiki le canari et sa canarie – car c’était une femme, et on sait que toutes femmes très souvent, poussent les hommes en avant et au plus haut de leurs ambitions – Kiki le canari et sa canarie donc, depuis ce jour-là, devinrent roi et reine, de ce que l’on appelle encore aujourd’hui: Les îles canaries.
Luciano Cavallini
Membre de l’Association Vaudoise des Ecrivains, ( AVE )
© Luciano Cavallini, novembre 2014, Contes de Noël pour enfants. « Kiki le canari »

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