Hommage à une grand-maman
En ces temps où les petits-enfants ne peuvent plus voir leurs grand-parents, nous vous soumettons ce poème de l’écrivain montreusien Luciano Cavallini qu’il avait écrit en hommage à sa grand-maman.
Elle est venue ouvrir la porte,
De son petit appartement,
Elle fait moins de bruit qu’une morte,
Et prend toujours beaucoup de temps.
Les années passent sur ses ans,
La radio crie plus fort qu’avant,
Y a partout des encombrements,
Des peluches, des photos d’enfants.
Elle ne parle quasiment plus,
Et reste des jours sans être vue,
Sa voiture est bonne pour la casse,
Car sur sa route y’a plus de place.
Il y a partout des vieux biscuits,
Le téléphone ne fait plus de bruit,
Les appels sont devenus sourds,
Les bibelots content les anciens jours.
Son mari est mort depuis longtemps,
Et lui criait dessus souvent,
Mais elle s’accroche à cet amour,
Encadré au fond du Séjour.
Elle voit les portraits de son fils
Entouré de châles contre un mur.
Elle se rappelle des sacrifices,
Comme de l’utile qui la rassure.
Et devant le vieux lit d’enfant,
Aux meubles petits de bois foncés,
Elle se parle un peu comme avant,
Mais seule de plus en plus souvent.
Elle a un vieil album d’école,
Des vieux amis qui se décollent,
Des pages d’enfants décolorées,
Des vieux poèmes dépareillés.
Elle vit seule, seule elle survit,
Une petite fille lui sourit,
La sienne derrière un verre poli,
Entre peu de temps et trop de vies.
Point trop de places pour les anciens,
Les anciens nés sont trop aînés,
Et les nuits ramènent des matins,
Un jour encore à étrenner.
Il reste des factures à payer,
Une casserole pleine de souper,
Une veilleuse toujours allumée,
Une vieille radio, déprogrammée.
Elle fait encore tous ses repas,
Que les siens ne mangeront pas,
La boîte aux lettres est sans plis,
Même son nom est un oubli
On ne reste jamais très longtemps,
Il faut partir, la vie attend,
Vers les vitales nécessités,
Où grand mère cesse d’exister.
Il se passera encore des mois,
Pas un appel, pas une voix,
Mais cet instant d’éclair trop court,
Fige une absence sans retour.
Elle est venue ouvrir la porte,
De son petit appartement,
Elle fait moins de bruit qu’une morte,
Et prend toujours beaucoup de temps.
Luciano Cavallini