Le blog de Denis Vitel

Tout s’écoule…

Denis Vitel est pharmacien et consultant. Ayant écrit sa thèse sur le stress oxydant, il s’intéresse aux effets du temps qui passe sur le corps, mais également sur les esprits. Tout bien considéré, nul ne veut vieillir, mais tout le monde veut apprendre. Tout le monde veut rajeunir, mais chacun se méfie des effets secondaires des pilules de jouvence. L’auteur du blog habite sur les hauts de Montreux. Comme tous les Montreusiens, il apprécie tout naturellement le spectacle des jeux de la lumière, du vent et du lac.

Vous retrouverez ici, de temps à autre, ses réflexions sur le temps qui passe.

Paru le: 31/12/2020

Fêtes minimales Introspection maximale

Il existe des jeux vidéo où le personnage que l’on joue possède le pouvoir de faire apparaître ou disparaître les objets à volonté. Tout le monde a plus ou moins cette faculté. Le Montreusien a ainsi pu s’exercer en décembre à rétablir dans son paysage mental, par surimpression, grâce à ses souvenirs, la grande roue et les cabanes de bois disparues cette année. On n’a cessé de parler de la réalité augmentée. Désormais, on sait qu’il existe aussi la réalité soustraite. On l’espère juste escamotée. Une seule fête vous manque et tout est dépeuplé, à moins de compenser, de philosopher. Tous les bouquins du rayon “sagesse” sont unanimes : moins, c’est plus. Ce que l’on ne possède plus ou ce que l’on ne veut plus n’est qu’une invitation à l’enrichissement intérieur. Il faut être capable de retourner à l’essentiel, quoi.

Peut-être l’occasion est-elle donnée de comprendre enfin quelque chose à l’art contemporain, par exemple au minimalisme. S’il n’y a qu’un cube, une forme géométrique, une tache à regarder, c’est qu’il y a quelque chose à penser. C’est le cerveau qui doit bosser à partir d’une matière minimale. S’il y a des vides, c’est à lui de les remplir. Il est un peu comme le magicien qui doit sortir quelque chose d’un chapeau vide. Il est artiste du moins, du presque rien. Les autorités françaises ont voulu interdire d’aller skier en Suisse, menaçant de sanctions. Pour elles, alors les vacances d’hiver c’est carré blanc sur fond blanc. La fermeture des cinémas, c’est carré noir sur fond noir. Les pelouses des stades désertés c’est carré vert sur fond vert, une oeuvre abstraite de plus, quoi. Pas plus de 15 personnes par rassemblement, ça ne faisait même pas une équipe de foot et 5 remplaçants de toute façon. Si toutes ces formes géométriques et ces nombres c’est trop abstrait, on peut faire quelques concessions : les restaurants fermés pourraient suspendre aux vitrines des natures mortes de fruits, de légumes, de poissons à côté du tag “soutien aux restaurateurs”. La vie sociale largement sous cloche, les pensées ne sont pas forcément plus sages. Elle sont souvent plus joueuses, ironistes. Cette année on peut dire aux enfants que les marmottes n’hibernent pas. Elles n’osent pas sortir à cause de ce qui est arrivé aux visons, ou disons qu’elles s’auto-confinent.

Les circonstances actuelles invitent à écouter les témoignages des magiciens du “moins, c’est plus”. D’innombrables expériences ont été racontées dans des livres ou sur le web, par des moines, des philosophes ou des personnes anonymes qui ont juste voulu désencombrer leur logement des objets superflus. Toute expérimentation minimaliste est naturellement à conduire dans le strict respect des gestes barrières. Il est bien entendu que ne pas désencombrer son logement de sa propre personne, ça s’appelle la survie.

Denis Vitel