Montreux – LE SAVIEZ-VOUS?

Cette rubrique vous renseigne sur des sujets peu ou mal connus de MONTREUX.

Paru le: 30/03/2023

Drame de Montreux: la NZZ a enquêté, 1 année après.

Dans un long texte, la “NZZ am Sonntag-Magazin” publie son enquête approfondie sur les événements survenus il y a une année, exactement le 24 mars 2022.  Qu’on a nommés le «drame de Montreux» et qui avaient fait tant de bruit sur la scène médiatique internationale. De témoignages en témoignages, de recherches en recherches ici et à l’étranger (Algérie, France), les journalistes apportent un regard nouveau sur l’événement.
Voici le texte de Sacha Batthyany et Andrea Kucera, que nous avons traduit de l’allemand:

Les fantômes du lac Léman

Il y a un an, cinq personnes se sont jetées dans le vide du septième étage d’un immeuble d’habitation à Montreux. Cette tragédie aurait-elle pu être évitée ? Protocole d‘une radicalisation.

Le saut

Catherine Favre dort toujours la fenêtre ouverte. Elle aime que les premiers bruits du matin entrent dans sa chambre, le grincement des bus sur l’avenue du Casino, le croassement des corbeaux au-dessus du lac Léman. Mais le 24 mars 2022, un matin de printemps glacial, elle entend quelque chose qu’elle ne parvient pas à identifier dans son demi-sommeil. Plop.

Plop. “On aurait dit le bruit des éboueurs”, dit la psychothérapeute à la retraite, comme si des sacs poubelles étaient jetés à l’arrière de la voiture. Cinq coups sourds.

Une demi-heure plus tôt, à 6h15, deux policiers sont entrés dans une tour de l’autre côté de la cour et ont pris l’ascenseur pour monter au septième étage. Le meilleur emplacement de Montreux. De là-haut, on voit le lac Léman jusqu’en France, vers les montagnes enneigées de Haute-Savoie. Ils sonnèrent et attendirent jusqu’à ce qu’au bout d’un moment, une voix d’homme se fasse entendre :

“Qui est là ?”

Les deux policiers avaient pour mission d’emmener Maurice Robert, 40 ans, un informaticien, à la préfecture. Une omission administrative, rien de bien grave. Il n’avait pas répondu aux appels et aux courriers de l’inspection scolaire. Il s’agissait de son fils, Alexis, 15 ans, qui avait été scolarisé à domicile et dont les autorités du canton de Vaud voulaient contrôler les prestations. Un entretien de routine.

Les appartements de la famille à Montreux. 

“Nous sommes de la police !”, c’est ainsi qu’ils se sont fait connaître. Ils sont formés à ces moments-là, ils savent que même pour des affaires anodines, cela peut devenir compliqué. Ils ont écouté. Puis ils ont frappé à la porte.

Comme rien ne bougeait au bout d’une demi-heure, ils ont quitté la maison et, juste avant de sortir au rez-de-chaussée, ils ont entendu des sirènes de police de plus en plus fortes. Elles se rapprochaient de plus en plus. Ce sont les mêmes sirènes qu’entend Catherine Favre, la psychothérapeute qui se trouvait à moitié endormie il y a quelques instants et qui se lève maintenant. Certains voisins sont déjà sur les balcons et sortent leurs téléphones portables. L’ambulance est là, la police bloque les rues adjacentes, les passants mettent leurs mains devant leur visage sous le choc.

Des pieds d’hommes dépassent sous des bâches que les agents se sont empressés d’étaler sur le sol. Il s’est passé quelque chose de terrible en ce 24 mars, il y a un an. Quelque chose que Catherine Favre et tous les autres voisins ne comprennent toujours pas.

Alors que les deux policiers se trouvaient encore dans l’escalier, Maurice Robert, l’informaticien, a sauté du septième étage avec sa femme Sira, la soeur jumelle de celle-ci, Farida, et ses deux enfants, Alexis et la petite Clara. Cinq coups sourds. Ils ne criaient pas. Au contraire, ils semblaient suivre une logique interne. Comme l’indiquera plus tard le rapport d’autopsie, il n’y avait aucune trace de substances chimiques ou de sédatifs dans les organismes des corps. Les cinq semblaient être parfaitement conscients. Ils avaient attendu un signe. Et il était là.

Peu avant sept heures, ils sont montés sur le parapet et se sont laissés tomber de 25 mètres dans le vide. Cinq jours après les faits, la police a écrit qu’il s’agissait d’un “suicide collectif”. Mais les voisins, qui vivaient porte-à-porte avec la famille Robert, contestent cette thèse. Ils affirment avoir vu Maurice, le père, pousser les enfants.

Quel est le contexte de cette tragédie, qui a fait le tour du monde sous la forme d’un flash d’information ?

Qui étaient ces gens du septième étage, qui s’étaient de plus en plus retirés du reste du monde, qui s’enfermaient dans leur appartement, qui ne parlaient presque à personne et qui vivaient comme des fantômes sur les rives du lac Léman ? Et si le malheur avait pu être évité ?

Des erreurs ont été commises, des manquements ont été commis. Certains voisins ont harcelé la famille parce qu’elle refusait de s’intégrer. On parle de harcèlement moral. D’autres ont détourné le regard au lieu d’aider, alors qu’ils sentaient que quelque chose n’allait pas.

Pendant des mois, nous avons tenté de retracer les traces envolées que les différents membres de la famille ont laissées derrière eux et qui mènent jusqu’en Algérie ; nous avons eu un aperçu des résultats de l’enquête du Ministère public vaudois ; nous avons parlé avec des voisins et des collègues de travail et nous nous sommes constamment demandé si ce que nous faisions était juste. Nous avons suivi des personnes qui voulaient être laissées en paix.

On a le droit de faire ça, de donner vie à des fantômes ?

Maurice Robert, le père

Ce qui s’est passé dans l’appartement ce matin de mars, lorsque les deux policiers ont sonné à 6h15, ne peut être deviné qu’en revenant des années en arrière, en décomposant les biographies des différents membres de la famille et en étudiant les forces qui ont agi sur ces personnes. Leur acte était un geste radical, un signe de leur détermination, leur mort semblait être une rédemption.

Mais de quoi ?

Sur les quelques photos de Maurice Robert que l’on trouve sur Internet, on voit un homme dégingandé au visage de garçon, aux cheveux blonds courts et aux lunettes carrées. On ne sait pas grand-chose de lui, comme s’il avait effacé toutes les traces, coupé tous les cordages de sa vie passée.

Maurice grandit dans les années 1980 dans un quartier aisé de Marseille, un bon élève qui fera plus tard des études à la prestigieuse École polytechnique de Paris. Il devient président du club d’étudiants FaëriX et organise des jeux de rôle, des soirées au cours desquelles des personnes partageant les mêmes idée,  imaginent des mondes futuristes, essaient de nouvelles identités, recréent des histoires de meurtres et de monstres.

En 2004, Maurice termine ses études, parmi les dix meilleurs diplômés, et fait la connaissance de Sira Azizi, qu’il épouse un an plus tard, alors qu’il n’a que 24 ans. De nombreux indices laissent penser qu’elle était sa première femme. Selon son profil Linkedin, Maurice travaille dans trois grands ministères au cours des années suivantes, mais sa carrière marque le pas lorsqu’il déménage à Vernon, une petite ville de Normandie, et qu’il donne naissance à son fils.

La plupart des rapports médiatiques sur le drame le mettent en avant, lui, le mari et le père. Dans les tragédies familiales, ce sont généralement les hommes qui sont à l’origine de la violence. Les voisins de la tour de l’avenue du Casino le montrent également du doigt lorsqu’il s’agit de chercher des coupables. Maurice a toujours été désagréable, dit-on, c’est un type qui ne dit jamais bonjour. Une femme dit : “J’avais peur de lui”.

Le drame de Montreux présente de fortes similitudes avec une affaire survenue quelques mois plus tôt près de Berlin : après la découverte que son épouse possédait un faux certificat de vaccination Covid, un père de famille allemand a tué sa femme et ses trois filles, puis s’est suicidé le 3 décembre 2021. Il n’est que le suiveur, le disciple, celui qui répète ce que les autres lui ont inspiré. Les deux familles étaient imprégnées des théories de la conspiration de Corona et se méfiaient de l’État. Le père allemand, juste avant de mettre fin à ses jours, avait construit un puits dans le jardin pour s’assurer un approvisionnement en eau indépendant. Maurice avait fait des réserves de nourriture.

Mais si l’on analyse les structures de pouvoir au sein de la famille à Montreux, on s’aperçoit que les rôles sont ici répartis différemment. Maurice Robert était certes le principal soutien financier de la famille. C’est lui aussi qui a été envoyé à la porte, ce dernier matin de sa vie, pour demander qui était là. Mais il n’est que le suiveur, le disciple, celui qui répète ce que les autres lui ont inspiré.

Sira Azizi, la mère

Les jumelles Sira et Farida Azizi naissent en été 1980, à Paris, dans le 5e  arrondissement. Elles ont trois autres frères et soeurs, mais se distinguent et se sentent peu aimées par leur père, un Algérien issu d’un milieu intellectuel. Les jumelles vont dans les meilleures écoles, dont le collège Henri IV, déjà fréquenté par Jean-Paul Sartre, puis par Emmanuel Macron. Les Azizi sont connus en Algérie, le grand-père des jumelles était un écrivain célèbre, ami d’Albert Camus. En 1962, il a été froidement abattu pendant la guerre d’Algérie par l’Organisation de l’armée secrète (OAS), un mouvement terroriste français.

Sira décide de devenir dentiste, tandis que sa soeur jumelle Farida se spécialise en ophtalmologie. Elles vivent dans deux appartements situés à quatre minutes l’un de l’autre. Depuis leur plus tendre enfance, Sira est la plus analytique, Farida la plus naïve et la plus joueuse, qui adore sa soeur. et la qualifie de personne la plus intelligente du monde. Ce que veut Sira, Farida le veut aussi. C’est sa perte.

En 2004, Sira fait la connaissance de Maurice Robert, un homme discret et de grande taille, un informaticien passionné de technologie, quelqu’un à qui l’on prédit une carrière fulgurante et qui a travaillé très tôt dans différents ministères. Un bon parti.

Ils se marient un an plus tard. En 2007, leur fils Alexis vient au monde. Le jeune couple décide de déménager dans une petite ville appelée Vernon. Ils achètent une maison où ils ne passent pour l’instant que les week-ends, mais plus tard, Sira ouvrira son propre cabinet dentaire en province.

On ne sait pas ce qui a poussé la jeune famille Robert-Azizi à quitter le Paris flamboyant vers 2010 pour prendre un nouveau départ dans ce lieu exsangue de Normandie. Financièrement, tout allait bien, leurs carrières commençaient à être prometteuses. Il semble que Vernon ait été un premier abandon. Une retraite. Peut-être aussi une libération des attentes élevées des parents, qui voyaient en leurs enfants la future élite de la France. Ce Vernon, dans la galerie marchande fatiguée , dans laquelle les fusils de chasse côtoient les terrines, derrière de mornes vitrines, est le point de départ d’une course au désastre. C’est ici que commence ce qui se terminera en tragédie dix ans plus tard à Montreux : une première fissure de confiance envers les autorités, qui s’élargit au fil du temps en un profond fossé de méfiance, jusqu’à ce que la famille ne semble plus voir d’autre solution que de monter sur ce parapet de balcon.

Les premiers mois se passent tranquillement. Avec leur voisine, ils échangent à peine un mot. Maurice, le mari, était rébarbatif, dit-elle, et jurait contre le mur qui sépare les deux appartements. Sira ouvre un cabinet collectif, son mari l’aide à créer un site Internet, il y a un petit barbecue pour l’inauguration, des gobelets en plastique, des saucisses avec de la moutarde. Le fait que Maurice ne mange pas de viande ce jour-là est accueilli par des chuchotements de la part des gens de la campagne.

Partout, elle sentait des ennemis.

Peu après, Sira commence à se plaindre auprès de son collègue de cabinet: il monte les patients contre elle. Il s’agit d’abord d’altercations anodines qui dégénèrent en une violente dispute au tribunal, comme on le raconte à Vernon. “Elle m’a harcelé”, dit son ancien collègue, “toutes les accusations étaient inventées de toutes pièces, mais elle n’a pas fait preuve de discernement”. Il avait l’impression qu’elle était en proie à un délire. “Elle sentait des ennemis partout”. La dispute avec le collègue et l’abandon du cabinet commun sont suivis de dizaines de plaintes de différents patients, qui aboutissent à plusieurs plaintes contre Sira Azizi. Il s’agit d’erreurs de traitement et de comportement grossier; plusieurs parents affirment que leurs enfants ont souffert de douleurs pendant des semaines après une visite chez le dentiste Azizi.

Une fois de plus, Sira nie tout, ses parents se sont ligués contre elle, se défend-elle par l’intermédiaire de son avocat. Il ressort du dossier judiciaire qu’elle a déclaré être enceinte et avoir souffert de dépression, ce qui l’aurait obligée à s’absenter de son travail.

Son deuxième enfant, la petite Clara, naît début 2013.

Le passage de la frontière suisse marque le début de la déconnexion. Mais vers la fin de cette année fatidique, Sira ferme son cabinet, anticipant ainsi la décision d’un tribunal régional qui lui retirera plus tard pour six mois son “autorisation d’exercer les professions de santé” en France. La famille part sans dire au revoir, leur maison est encore en leur possession aujourd’hui selon le registre foncier. Ce n’est pas sans raison qu’ils se réfugient en Suisse romande, car ils veulent ce que beaucoup attendent de la Suisse : qu’on les laisse tranquilles.

Si Vernon était une première retraite, le passage de la frontière marque le début de leur déconnexion. Les autorités du canton de Vaud sont moins paternalistes qu’en France, la bureaucratie est légère, personne ne pose de questions; après tout, il s’agit de Français aisés, diplômés de l’université, et non de Syriens dont personne ne veut.

Sira convainc sa soeur jumelle Farida et son mari de l’accompagner en Suisse, ils n’hésitent pas une seconde.

Farida Azizi, la soeur jumelle

Tout le monde à l’hôpital régional de Metz, cette petite ville du nord-ouest de la France à deux heures et demie de train de Paris, connaît cette ophtalmologue qui se rend chaque matin au travail à vélo : Farida Azizi est jeune, sportive, l’avenir est devant elle.

Sur bien des points, elle semble être le contraire de sa soeur jumelle. Alors que Sira se met à dos tout le monde à Vernon, Farida est considérée comme compatissante avec les patients, prévenante avec ses collègues, compétente dans sa spécialité. Son supérieur de l’époque loue la thèse de Farida sur une maladie auto-immune des yeux et l’aurait volontiers engagée après son assistanat, mais Farida veut retourner à Paris. Elle est amoureuse et veut se marier, avec un informaticien, un informaticien comme Maurice, le mari de Sira. Ce n’est pas un hasard.

Les soeurs jumelles sont inséparables. Elles se téléphonent tous les jours, partent en vacances ensemble et choisissent des hommes aussi faibles, plus à l’aise derrière un écran que dans la vraie vie.

Mais dans la relation de Farida et Sira, il y a un déséquilibre de pouvoir depuis leur enfance. Farida a certes progressé dans sa carrière, mais elle regarde sa soeur de haut. Lorsque Sira perd son permis à Vernon et s’enfuit en Suisse, Farida laisse sa vie en France derrière elle et part avec elle en embarquant son mari .

Elle trouve un poste à la clinique ophtalmologique des Hôpitaux Universitaires de Genève et devient médecin-chef. Ses avis sont appréciés. En 2014, elle donne une interview à la radio suisse romande sur les dommages que la lumière bleue des écrans peut causer à la rétine. Elle a une voix agréable, calme, presque berçante. On entend à peine son accent français. Un signe de sa capacité d’adaptation.

Sira Azizi

C’est en Suisse que commence ce que l’un des proches des soeurs appelle “la formation d’une capsule”. Les jumelles vivent avec leurs maris et leurs enfants dans un appartement mansardé de deux étages à Vevey. Ceux qui ne les connaissent pas les prennent pour des couples de jeunes diplômés avec de bonnes professions, mais en réalité, le groupe s’enferme de plus en plus et forme une vrai forteresse.

C’est l’époque de l’affaire de la NSA; les révélations d’Edward Snowden mettent à jour les pratiques de surveillance des services secrets dans le monde entier. Sira et Farida commencent à effacer leurs traces numériques et à fermer leurs comptes Facebook. Il n’y a pas une seule photo de Sira sur le net.

Elle est la chef de cette “capsule”, une sorte de reine des abeilles qui décide du quotidien et définit l’atmosphère régnante. Ses opinions sont claires, tout est soit noir soit blanc, elle ne s’autorise aucune nuance de gris. Elle travaille comme dentiste à Bulle, elle cache à son employeur suisse sa condamnation et le retrait de son autorisation de pratiquer en France. On dit qu’elle a essayé de mettre ses assistantes sous hypnose pour s’amuser, une technique qu’elle avait apprise à Paris.

Mais le soir, dans son appartement, Sira se plonge dans son monde fantastique et continue d’écrire sa trilogie sur Simon Novida, un combattant héroïque contre l’oppression des envahisseurs extraterrestres. Mais Novida n’est que l’avatar d’une jeune agente qui travaille dans une crêperie pour se dissimuler et qui se vante de manipuler le monde entier.

Le grand-père de Sira vivait en Algérie et décrivait en tant qu’écrivain la pauvreté régnant dans les montagnes arides de Kabylie, tandis que sa petite-fille Sira choisissait la science-fiction, la guerre et l’oppression, la folie du contrôle et la surveillance. Elle a déjà publié deux volumes sous un pseudonyme, que quelqu’un sur Internet a comparé aux “Tributs de Panem”. “Parce qu’ils me rejettent, je vais créer mon propre groupe de résistance avec son chef Simon Novida. Je suis Simon Novida, mais personne ne le sait”, écrit Sira dans l’un de ses romans de science-fiction.

Peu à peu, tout commence à se mélanger dans la tête de Sira, le délire et la réalité, la guerre de Novida contre les envahisseurs et la colère d’Azizi contre les autorités. Partout des extraterrestres, partout des ennemis et des manipulateurs. Elle reporte ses peurs et sa haine de l’État sur sa soeur Farida, avec qui elle partage tout. Les hommes n’ont aucune chance face au lien indéfectible qui unit les jumelles. Il n’y a pas de vie de couple, pas d’intimité. Il ne leur reste plus qu’à se soumettre aux femmes. Et il n’y a personne pour arrêter les Azizis.

Maurice Robert

Les voisins, tant en France qu’en Suisse, qui le connaissent vaguement, le décrivent comme un homme bourru et paresseux. Une semaine avant sa mort, Maurice a une altercation avec un serveur dans un bar de Montreux parce que celui-ci lui refuse qu’il paye avec sa carte de crédit; il en vient aux mains. Était-ce un appel à l’aide ? Le poids de toutes les conspirations qu’il voyait partout et qu’il portait sur ses frêles épaules était-il trop lourd ?

Maurice avait sa place dans l’ombre de Sira. Ce qu’elle décidait, il l’appliquait. Il s’était sans doute résigné à être dans la hiérarchie derrière Farida, qui avait une relation plus étroite que lui avec sa femme. Le ministère public parle de deux personnalités dominantes et possessives et d’un “père inexistant”.

Depuis qu’il a déménagé en Suisse, Maurice travaille comme responsable informatique chez Secutix, une entreprise lausannoise spécialisée dans la vente de billets en ligne. Mais il n’est pas assez sollicité intellectuellement, travaille la plupart du temps à la maison, enseigne en même temps à son fils et, quand il ne pédale pas avec son home-trainer sur le balcon, passe beaucoup de temps derrière l’ordinateur, où il passe des nuits entières à endosser d’autres rôles et à combattre ses adversaires dans “World of Warcraft”.

Après des années passées dans ce ménage à trois avec les jumelles, son sentiment s’est probablement renforcé de ne pouvoir obtenir quelque chose de tel que l’amour de sa femme, à laquelle il se soumet totalement. Comme les disciples à leur gourou. Cela expliquerait pourquoi il donnait l’impression d’être toujours sous pression, comme le dit quelqu’un qui l’a connu.

Très vite, la famille n’a plus eu de contacts avec le monde extérieur. De Vevey, la famille déménage à Montreux en 2019, après des détours.

Le fait que Maurice, avant même le début de la pandémie de Corona et de la guerre d’Ukraine s’enquiert d’un abri antiaérien, est une indication de la façon dont ils étaient tous, à l’époque déjà, obsédés par l’idée de devoir prendre des dispositions pour la fin du monde.

Leur focalisation était déjà si étroite qu’ils faisaient entrer tout ce qui se passait dans le monde dans leur schéma. Ils n’avaient plus aucun contact avec le monde extérieur. Sauf Farida.

Farida Azizi

De l’extérieur, elle semble bienheureuse. Elle travaille désormais dans une clinique ophtalmologique à Sion. Elle a renoncé à sa carrière universitaire, peut-être pour avoir plus de temps à consacrer à sa famille, à Sira et à ses enfants. Mais elle ne semble pas malheureuse. D’anciennes patientes la décrivent comme un médecin attentif et compatissant, s’épanouissant dans son travail. Dans sa salle de consultation, il y a toujours de la musique classique. Quel devait être le contraste entre ce qu’elle était dans son lieu de travail à Sion et dans son appartement ?

Alors qu’elle soigne ses patients pendant la journée en tant que médecin très respecté, elle mène en réalité une double vie et se retire de plus en plus pendant son temps libre. De tous les adultes de cette “capsule”, elle est celle qui fait le plus grand écart. Elle a encore un pied dans la vie professionnelle, elle a des collègues dans le monde réel, mais en dehors des heures de bureau, elle s’imprègne des scénarios de fin du monde qu’elle tisse avec sa soeur et qu’elles imposent ensemble à Alexis et Clara, qui grandissent comme des enfants de secte et qui n’ont jamais le droit d’apprendre à penser par eux-même.

Alexis et Clara, les enfants

Si l’on demande aux habitants du quartier ce dont ils se souviennent lorsqu’ils pensent aux deux enfants, il en reste des images fantomatiques. Clara, huit ans, vêtue d’une robe jaune, se cachant entre les jambes de son père. L’adolescent Alexis, debout au bord du lac, un stand-up paddle sous le bras. Ils étaient comme des complices, bien élevés et intelligents, jouant ensemble dans le couloir ou la cour, se taquinant et se saluant poliment.

Alexis a-t-il compris ce qui se passait ?

Alexis a quinze ans lorsqu’il se jette du balcon. Clara a huit ans. Tous deux étaient à un âge où ils auraient pu se défendre, ne serait-ce qu’en criant. Certains voisins de Montreux affirment qu’Alexis a été poussé par son père. Et Clara aurait été tenue dans les bras de son père lorsqu’il a sauté, ce que la position des corps au sol est censée prouver. Mais là encore, il ne s’agit que de rumeurs.

Tout le monde est probablement encore au lit lorsque la police sonne ce matin-là. Comment pousse-t-on un jeune enfant et un adolescent à se jeter dans le vide ? Clara était-elle éveillée quand elle a sauté? Alexis a-t-il compris ce qui se passait ? Ou étaient-ils sous hypnose ? Ce qui est possible, car les deux soeurs, Sira et Farida, suivaient des cours d’hypnose médicale et s’intéressaient à l’état de conscience des personnes en transe. Elles avaient souvent discuté de la douleur ressentie sous hypnose et voulaient l’utiliser sur leurs patients plutôt que de leur administrer des substances chimiques. En faisaient-ils de même avec leurs enfants ?

Comme son père, Alexis se développe en tant qu’informaticien, à huit ans il sait programmer. Le fait est qu’Alexis et Clara grandissent en plein coeur de la Suisse, dans un immeuble sous les yeux de dizaines de voisins, et vivent pourtant complètement déconnectés, comme dans une colonie reculée de la jungle chilienne, gavés de peurs absurdes, d’images hostiles et de fausses idées sur une vie dans l’au-delà.

Ils jouent dehors devant la maison et se baignent dans le lac, mais sont en réalité des êtres étranges, des marionnettes télécommandées par leurs parents, qui échappent aux contrôles laxistes des autorités scolaires. Dans aucun autre canton romand, il n’est plus facile d’instruire son enfant à domicile que dans le canton de Vaud. C’est peut-être pour cette raison que les Azisis se sont installés ici. Les familles françaises continuent de s’installer en Suisse parce que l’école à domicile est plus strictement réglementée en France. Il faut donner des raisons impérieuses pour scolariser son enfant à la maison, comme un trajet difficile, un handicap physique de l’enfant.

Dans le canton de Vaud, une lettre adressée au canton suffit. Une fois par an, on contrôle si l’enseignement est dispensé conformément au programme scolaire public. Les familles sont libres d’organiser l’enseignement comme elles l’entendent. Mais cela doit changer. C’est une coïncidence remarquable que le canton aie durci les règles du homeschooling juste six mois avant le drame de Montreux : les parents devront à l’avenir veiller à ce que leur enfant puisse également profiter de possibilités de socialisation en dehors de la famille. Il doit aller au football ou à l’équitation, où il découvre d’autres opinions et réalités et peut être mieux protégé de l’influence des sectes et autres formes d’endoctrinement.

Mais ces nouvelles règles arrivent trop tard pour Alexis. Depuis qu’il a déménagé en Suisse, son monde se réduit aux trois adultes et aux quatre murs qui l’entourent. Il ne voit jamais d’autres enfants, il n’est jamais invité à des fêtes d’anniversaire. Comme son père, Alexis se développe en tant qu’informaticien, à huit ans il sait programmer. Une voisine dit avoir entendu Alexis dire un jour sur le balcon qu’il voulait rencontrer des filles. Et il le fera. Il est le seul de la famille à survivre au saut.

Sira Azizi

Alors qu’elles sont encore à Vevey, les deux soeurs suivent un cours de survie dans lequel elles apprennent à vivre dans les bois, à construire des cabanes, à manger du lichen. Parallèlement, elles continuent à travailler pour effacer leurs traces numériques, jusqu’au jour où Sira disparaît complètement.

C’est une astuce simple, mais hautement efficace pour les désirs de Sira. En 2019, elle annonce son départ aux autorités suisses en prétendant déménager en Italie avec sa fille Clara. En réalité, les deux ne feront jamais le voyage. Mais ceux qui n’existent pas dans les ordinateurs des bureaux administratifs ne peuvent être ni poursuivis ni contrôlés. Ils sont devenus des fantômes, comme les personnages des livres de science-fiction de Sira.

Pour Sira, cela a dû ressembler à la liberté. Une petite victoire sur le système. On ne sait pas pourquoi elle n’emmène que sa fille sous le radar et pas son fils. Peut-être parce qu’un adolescent se fait plus remarquer qu’une petite fille blonde ?

Sira se replie de plus en plus sur elle-même, elle a perdu son droit d’exercer la médecine en Suisse après que les autorités aient appris ce qui s’était passé à Vernon.

Le choix de l’appartement de Montreux au dernier étage, leur dernière demeure, n’est probablement pas un hasard. Là-haut, elles trônent au-dessus de tout et sont en même temps à l’affût, accrochant des moustiquaires opaques aux fenêtres pour que les voisins ne les voient pas. La seule vue dégagée est celle du lac, derrière lequel se trouve la France, l’ennemi.

Mais il en manque un. La “capsule” est devenue trop étroite pour lui.

Farida Azizi

Le mariage entre Farida et son mari commence à se fissurer peu après le déménagement en Suisse. Il a du mal à se soumettre, comme Maurice le fait. Il ne veut pas partager sa femme avec sa soeur et ne veut pas se soumettre. Il est donc exclu. Lorsqu’il contacte à nouveau Farida après son divorce, c’est Sira, sa soeur, qui prend l’appel et lui dit de disparaître. Il se sent soudain coupé du groupe, n’a aucune information sur ce qu’ils sont devenus, s’est détaché de la secte familiale et ne sait pas encore exactement ce qu’il va faire de sa liberté nouvellement acquise.

D’après ce que l’on sait, Farida n’a plus eu d’autres hommes jusqu’à sa mort. Elle loue certes un petit studio dans le même immeuble de l’avenue du Casino à Montreux, mais elle passe la plupart de son temps chez sa soeur et ses enfants, qu’elle traite comme les siens. Même la nuit précédant son suicide, elle dort au septième étage.

À l’instar des sectes fondamentalistes, elle considère la mort comme un passage vers un monde meilleur. Ces derniers mois, les trois adultes ne commandent plus que des choses en ligne: nourriture, livres, vêtements, filtres à eau, médicaments et réchauds de camping. L’appartement est rempli de cartons jusqu’au plafond, c’est également ce qu’écrit la police après la tragédie.

“La famille aurait pu survivre en complète autarcie pendant plusieurs mois”. Chaque jour, des dizaines de paquets sont déposés devant leur porte d’entrée, sur laquelle ils apposent un petit emblème : “Jésus est le sauveur”. Et chaque fois que le facteur sonne parce qu’il a besoin d’une signature, c’est Maurice qui entrouvre la porte de l’appartement d’où s’échappent des volutes d’encens parfumé.

Il ressort des rapports du ministère public que la famille se crée sa propre religion, qu’elle bricole à partir d’Internet et qu’elle mêle à toutes ses théories sur la fin du monde pour en faire une construction maligne de complots totalement incontrôlable. À l’instar des sectes fondamentalistes, elle considère la mort comme un passage vers un monde meilleur.

Ce qui se passe derrière les quatre murs de l’appartement, personne ne le sait dans ce quartier bordé de palmiers et proche du casino. Une fois par semaine, les soeurs quittent leur forteresse pour aller dans une brasserie, Farida est considérée comme la plus sociable des deux et aime porter des robes en été. Sira, qui n’existe pas officiellement en Suisse, marche entre-temps à la baguette, semble plus sévère et plus repoussante. Leur serveur préféré, Allan, leur prépare à chaque fois un “cocktail de jumelle” à base de rhum et de purée de poire. “Elles respiraient la joie de vivre”, se souvient-il.

La coiffeuse chez qui ils se teignaient les cheveux en rouge chaque semaine, même la veille de leur mort, est elle aussi bouleversée en apprenant ce qui s’est passé. Ils s’étaient opposés à la vaccination Corona, les avaient mis en garde “contre les manipulateurs”, mais rien n’indiquait qu’ils allaient se suicider. “Ils vivaient l’un pour l’autre”, dit-elle au magazine d’information français “Le Point”.

Si l’une s’en allait, elles auraient toujours dit que l’autre l’accompagnerait. Aux fantasmes de fin du monde s’ajoute la pandémie. Lorsque la pandémie de Corona s’est abattue sur le monde fin 2019, Sira, Farida et Maurice étaient déjà profondément englués dans le marécage des théories du complot et des conspirations mondiales. Ils avaient nourri pendant des années la méfiance envers les autorités, ce qui avait commencé à Vernon, jusqu’à ce qu’elle se transforme en un délire incontrôlable et monstrueux. Le procureur écrit : “Ils ont rejeté tout ce qui avait trait à l’État”, notamment l’école publique et la police.

Il y avait des signes que quelque chose n’allait pas. Les nombreux paquets. Les enfants qui ne jouaient jamais avec les autres. La déconnexion croissante. Mais en Suisse, entre voisins, on se laisse faire, la plupart regardent ailleurs, certains sont gênés par Sira, certains ont peur de Maurice. Ils ouvrent en cachette des cartons qui se trouvent devant la porte, parce qu’ils veulent savoir ce que ces étranges Français commandent du septième étage.

Dans un chat Whatsapp, ils se moquent d’eux, raillent leurs vêtements, leurs noms arabes, s’irritent de leur comportement. Sira, Farida et Maurice se radicalisent au fil des années en Suisse et se désolidarisent complètement. Aux fantasmes de fin du monde s’ajoute la pandémie. Les trois pensent que le Covid-19 n’est qu’un prétexte pour les autorités afin de rendre les citoyens dociles. Et ils voient dans la vaccination une mesure permettant de contrôler l’humanité au moyen de puces électroniques.

Lorsque la Russie envahit l’Ukraine fin février 2022 et que beaucoup parlent de guerre nucléaire, ces trois-là doivent avoir l’impression d’avoir enfin eu raison. Dans leur tête, l’apocalypse est maintenant; et il n’y a personne pour les réveiller, les arrêter et les faire revenir à raison. La psychothérapeute Catherine Favre, une voisine qui entend le choc des cinq personnes et attribue le bruit au ramassage des ordures, compare les sentiments que les trois adultes éprouvent le matin où ils montent sur le parapet et sautent, avec les Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, juste avant d’être découverts par la Gestapo. “Dans leur saut, ils ont vu leur salut”, dit Favre, “j’en suis sûr”.

Le saut

C’est un matin de printemps glacial et ensoleillé, ce 24 mars,il y a un an, quand les deux policiers sonnent, septième étage, porte rouge. Maurice Robert, le mari, va à la porte pour demander qui est là. “C’est qui ?” “Police !”

Maurice, qui vit officiellement seul avec son fils dans l’appartement, aurait été menacé, dans le pire des cas, d’une amende de 5000 francs pour ne pas avoir respecté les contrôles de homeschooling. Mais il n’a jamais été question de cela. Maurice et les soeurs jumelles s’étaient préparés à ce moment. En laissant les lettres des autorités scolaires sans réponse, ils avaient provoqué la visite.

“L’arrivée de la police était pour elle le signe du départ”, écrit le ministère public vaudois après des mois d’enquête. “Le suicide était planifié et préparé”. Dans leur folie, ils avaient besoin d’un signal qui leur permette de passer à l’action. Ils avaient auparavant discuté de ce qu’il fallait faire et avaient juré aux enfants comment ils devaient se comporter lorsque l’ennemi était aux portes.

Ces trois personnes, qui croyaient aux complots de l’État, avaient créé leur propre complot. Un peu avant sept heures, ils sont sur le balcon, Sira, Farida, Maurice et les enfants. Le lac est lisse comme un miroir devant eux. Dans le crépuscule du matin, on aperçoit les sommets des montagnes de l’autre côté. Le climat particulier de Montreux donne à la ville un air méditerranéen, les vignes poussent sur les pentes, les oliviers et les palmiers bordent les allées. De nombreux artistes se sont installés dans cette petite ville, l’écrivain Vladimir Nabokov a vécu au Montreux- Palace jusqu’à sa mort, Freddie Mercury, le chanteur de Queen, y a passé les dernières années de sa vie.

Vue du balcon de Sira et Maurice depuis l’appartement voisin…

Les Roberts sont également des personnes déplacées. Eux aussi sont venus pour le calme. Mais dans leur tête, c’est la tempête. D’abord, c’est Farida qui saute. Puis sa soeur jumelle Sira. Elles ont établi cet ordre bien avant. La chorégraphie de leur propre mort. Puis c’est au tour des enfants. Ils montent sur la balustrade à l’aide d’un tabouret et se laissent tomber. Clara… plop. Alexis, l’adolescent, tombe sur le palmier qui se trouve sous la maison, est amorti par les feuilles et, le hasard faisant bien les choses, s’écrase sur sa mère Sira, à terre, qui le rattrape comme si c’était un matelas. C’est elle qui l’a mené à sa perte avec ses théories du complot, et c’est elle qui le sauve.

Maurice est le dernier à sauter… plop. Cinq coups sourds à 25 mètres. Quatre tombent. Alexis survit et est en coma. Son cerveau, qui flotte dans le liquide céphalorachidien entre les deux calottes crâniennes, va et vient sous l’effet du choc, ce qui peut entraîner des lésions irréversibles. Il souffrira toute sa vie de trous de mémoire et ne se souviendra probablement jamais de ce jour-là, mais de la période qui l’a précédé.

Pendant un an, les colocataires de la tour de la rue du Casino ont essayé d’oublier ce jour. Mais ils n’y parviennent pas. Ils ne peuvent pas se débarrasser des images de ces gens qui tombent du ciel. Auraient-ils au moins pu sauver les enfants ? se demandent-ils.

Certains suivent une thérapie, d’autres se plaignent de troubles du sommeil, quelqu’un a fait fumiger son appartement. Les fantômes du lac Léman sont toujours là, mais leurs ossements reposent depuis près d’un an dans le cimetière de Clarens, un peu en dehors du centre-ville. Un lapin en peluche ébouriffé par le vent repose sur la tombe de Clara, les mauvaises herbes poussent. Ils n’avaient pas d’amis de leur vivant, avaient rompu leurs relations avec la famille en France; qui va désherber et apporter des fleurs fraîches ? La voisine du septième étage, qui vivait en porte-à-faux avec la famille, raconte comment, depuis la tragédie, une colombe blanche se pose certains jours sur le rebord de sa fenêtre. Elle attend un peu, regarde autour d’elle et s’envole. Elle l’appelle Clara.

Contexte de cette recherche

Ce texte est basé sur des dizaines d’entretiens avec les voisins à Montreux, avec des amis et des collègues de travail, avec des experts et des autorités, sur des articles de presse ainsi que sur les enquêtes du ministère public. La “NZZ am Sonntag” a distribué plus d’une centaine de lettres dans le voisinage, en demandant aux gens de se manifester s’ils savaient quelque chose. Les informations ont été vérifiées et évaluées. Les noms des personnes décédées ont été modifiés, par respect pour le fils qui a survécu à la tragédie.

Collaboration  Mehdi Atmani,  NZZ am Sonntag Magazin