Cocorico ou Liauba ?
Publié sur LES ECHOS.FR le 6 janvier:
Le modèle économique suisse peut-il inspirer la France ?
LE CERCLE. Etienne Leenhardt a récemment consacré un épisode entier de son émission “Un Oeil sur la planète” diffusée sur France 2 au « miracle suisse » : réussite économique, niveau de vie, ascenseur social, dans de nombreux domaines la Suisse bat tous les records. La France saura-t-elle s’en inspirer ?
Récemment invité par Jean-Jacques Bourdin sur BFMTV, Jacques-Antoine Granjon, fondateur et PDG de vente-privee.com, s’interrogeait tout haut sur le paradoxe de la situation économique française :
« La France est le pays où il y a tous les talents. On sait tout faire de l’alimentaire jusqu’à la haute technologie. […] Pourquoi ne rayonne-t-on pas plus grâce au digital et à nos talents ? »
A cette question désormais récurrente dans la société française l’émission d’Étienne Leenhardt a indirectement apporté plusieurs embryons de réponse.
L’économie suisse, une réussite à l’échelon international
A l’ouest des Alpes on réduit souvent l’économie suisse à son secteur bancaire, qui pourtant ne représentait en août 2012 que 9,3% de la création de valeur suisse. Le documentaire de France 2 s’est dès les premières minutes attachée à déconstruire les idées reçues : la Suisse, c’est avant tout un écosystème de PME ultra-performantes à l’image de Thermoplan, entreprise témoin retenue pour l’émission, dont 97% de la production est exportée.
En ceci, et sur bien d’autres plans, la Suisse fait mieux encore que l’inamovible modèle allemand : non seulement la nation helvétique bénéficie d’un taux de chômage parmi les plus faibles du monde (3,2%), mais elle occupe les premières places de plusieurs classements internationaux dont celui de la nation la plus innovante, où la France est 20ème, et celui de la compétitivité, où la France arrive en 23ème position.
Mais ce n’est pas tout, car les chiffres du quotidien parlent aussi. Le PIB suisse s’élève ainsi à $80400, c’est-à-dire presque le double du français, estimé à $43000. La Suisse est par ailleurs 9ème du classement de l’Indice de Développement Humain, où la France est 20ème. Enfin, au classement sur le bonheur, la Suisse est 3ème, et la France 25ème.
Sur l’ensemble de ces classements, ce sont donc en moyenne 20 places qui séparent la France et la Suisse – autant dire un abîme.
La cohésion sociale suisse
Une des évidences qui s’impose lors de l’émission d’Etienne Leenhardt est celle de la place de la cohésion sociale suisse dans la réussite économique du pays : de l’échelon municipal à l’échelon national, en passant par celui de l’entreprise, c’est dans le consensus né de l’implication du plus grand nombre que se trouve l’un des secrets suisses. Stéphane Garelli, professeur à l’IMD, le rappelait ainsi non sans malice : en Suisse, tout le monde est consulté, mais une fois que la décision est prise, tout le monde s’y tient.
L’un des exemples les plus parlants de cette facette de la société suisse était sans doute celui de l’entreprise : chez Thermoplan, fournisseur exclusif de Starbucks en machines à café, ce sont les ouvriers qui décident eux-mêmes de leur temps de travail, qu’ils adaptent en fonction des commandes. Adrian Steiner, PDG, placé devant le fait accompli, se contentait d’expliquer à la caméra : « ils réfléchissent comme des entrepreneurs. Ils ont une vision globale de la production et s’adaptent. » Il faut également préciser que le salaire des ouvriers concernés dépasse celui de nombreux entrepreneurs français : 2500€ à l’embauche, précisait le documentaire, pour 42,5 heures de travail hebdomadaire.
Cette flexibilité se retrouve dans le code du travail suisse qui se limite à quelques dizaines de pages, quand son équivalent français atteint lui plusieurs milliers d’articles – avec la lourdeur administrative que cela suppose.
Les vertus de l’apprentissage
Autre point fort mis en valeur, l’apprentissage, vecteur imparable d’ascension sociale, qui en Suisse est tout sauf une voie de garage : deux tiers des jeunes passent par cette filière avec pour résultat un taux de chômage des jeunes parmi les plus bas du monde.
Première caractéristique de l’apprentissage suisse : il ouvre des voies au lieu d’en fermer, et permet d’accéder à tous les échelons de l’entreprise sans exception. Il n’est ainsi par rare de voir un jeune apprenti poursuivre sa carrière jusqu’à la tête de son entreprise : c’est ainsi le cas pour Sergio Ermotti, PDG d’UBS (la plus grande banque d’Europe), ou encore d’Ueli Maurer, actuel Président de la Confédération suisse.
Deuxième bénéfice collatéral de cette conception de l’apprentissage : les patrons ayant eux-mêmes été apprentis connaissent et comprennent les conditions de travail de leurs employés, et cherchent à les améliorer, voire à favoriser leur implication – et nous retrouvons ici le principe de cohésion développé plus haut.
Le snobisme français
Face à l’exemple suisse, a minima riche d’enseignements, la France oppose la plupart du temps une fin de non-recevoir : la Suisse est trop proche, trop petite aussi, et tant pis si elle compte presque le même nombre d’habitants que la Suède dont le modèle social est tant cité en exemple.
A ceci s’ajoutent les tensions existantes entre les deux pays, celles propres aux frontaliers, dont traite abondamment le reportage de France 2, ou encore celles liées aux avantages fiscaux suisses, cristallisés récemment par l’affaire Cahuzac.
Parfois même – et c’est plus gênant par les temps qui courent – la France se fait de donneuse de leçons. Il faut lire à ce sujet le témoignage de Fathi Derder, parlementaire suisse, confronté lors d’une visite diplomatique à des élus français :
« Un sénateur nous « explique » que nous ne comprenons pas la France. Et sa fiscalité. […] Puis, devant notre lenteur – toute helvétique – une sénatrice admet alors que, dans le fond, nous « ne pouvons pas » comprendre la question fiscale française. Car la Suisse est, je cite, « en retard en matière de dépenses publiques ». […] Désarmante France. Quarante ans de déficit, une dette abyssale, mais elle fait la leçon. Elle donne un cours de gestion de faillite au pays le plus riche du monde. »
Le documentaire concluait d’ailleurs sur les clivages culturels entre une Suisse pragmatique, où la sobriété est une vertu, et une France nettement plus désinhibée, de fait souvent perçue comme arrogante à l’extérieur de ses frontières, quand elle est au contraire volontiers adepte du French bashing à l’intérieur. Y a-t-il un juste milieu à espérer ? S’il existe, il sera certainement le fruit d’une remise en cause plus profonde.
Stéphane Ozil, président de Ozil Conseil