Avoir la musique dans le sang… Avoir la musique dans ses gènes, chiche ?
Les lecteurs du dernier Matin Dimanche on pu apprendre que l’on peut théoriquement stocker l’ensemble des enregistrements du Montreux Jazz Festival dans un volume comparable à un grain de sable. La double hélice d’ADN est décrite, depuis quelques années, comme le disque dur du futur. Le patrimoine musical, comme tout patrimoine numérisable, peut-être inscrit dans des séquences de code génétique en lieu et place de la mémoire classiquement utilisée par nos ordinateurs.
Le principe consiste à associer le « 0 » ou le « 1 » du codage informatique avec les molécules constitutives de l’ADN « A, T, C, G ». Ces lettres, du reste, servent à composer le titre du film d’anticipation « Gattaca », qui imagine une société dans laquelle les défauts génétiques de l’homme sont traqués. Homo sapiens a plus de 99 % de son patrimoine génétique en commun avec le chimpanzé, plus de 70 % avec l’oursin, ce qui est piquant à évoquer au moment de se diriger en masse vers les plages. L’ADN est le code du vivant, mais il peut servir à encoder à peu près n’importe quoi. On aime volontiers le comparer à un « Lego du vivant », comme si la nature avait joué avec, jusqu’à ce que l’on puisse jouer avec.
Aujourd’hui, deux chansons (« Smoke on the water » et « Tutu ») sont encodées, avec une pureté parfaite nous dit-on, dans des séquences d’ADN. Dans les décennies à venir, les cliniques de Montreux proposeront-elles aux festivaliers de transférer dans leurs cellules les morceaux de leur groupe préférés, qu’ils pourraient écouter au moyen d’un lecteur adapté ? Ces nouveaux transfusés auraient la musique dans la peau, mais au sens propre. On peut imaginer des fans facétieux des Eagles désireux d’ajouter la musique de leur groupe à des séquences d’ADN d’aigle. Des admirateurs de Cage the Elephant pourraient vouloir faire de même avec de l’ADN d’éléphant. Pourquoi un jour les enregistrements complets d’Iggy Pop ne seraient-ils pas commercialisés combinés avec de l’ADN d’iguane ?
Imaginons encore une civilisation future qui trouvera, après un cycle de réchauffement/refroidissement de la planète, un drôle d’objet qui, décodé, se mettra à chanter « le Moribond » avec la voix de Jacques Brel…
Denis Vitel