Le blog de Denis Vitel

Tout s’écoule…

Denis Vitel est pharmacien et consultant. Ayant écrit sa thèse sur le stress oxydant, il s’intéresse aux effets du temps qui passe sur le corps, mais également sur les esprits. Tout bien considéré, nul ne veut vieillir, mais tout le monde veut apprendre. Tout le monde veut rajeunir, mais chacun se méfie des effets secondaires des pilules de jouvence. L’auteur du blog habite sur les hauts de Montreux. Comme tous les Montreusiens, il apprécie tout naturellement le spectacle des jeux de la lumière, du vent et du lac.

Vous retrouverez ici, de temps à autre, ses réflexions sur le temps qui passe.

Paru le: 17/01/2018

2018 : vivre en bonne santé et vieillir sagement ou songer à l’immortalité?

L’immortalité envahit les journaux et les livres. Pourtant, nous ne sommes pas près de vivre plus longtemps. Promesses du sur-lendemain et old blues…

 

Il est des années où le compteur ne se contente pas juste de prendre “+1”. Parfois, l’horloge semble tousser avec les douze coups. Il arrive que les verres tintent bizarrement quand on trinque à la nouvelle année. A vrai dire, les derniers mois de l’année 2017 ont semé le trouble dans la réflexion sur le temps qui passe. Les années s’écoulent jusqu’au moment où on a le sentiment de changer d’époque.

En France, les disparitions consécutives de Jean d’Ormesson et de Johnny Halliday ont marqué non pas la fin d’une année, mais la fin d’une ère. L’un des “immortels” les plus influents et l’interprète de la chanson qui proclame “ça ne change pas un homme, ça vieillit” nous ont brusquement laissé à nos pensées sur le temps qui passe.

 

Certes, la célébrité confère une forme de vie après la mort. Déjà, dans la mythologie grecque, Achille préfère une vie écourtée, mais glorieuse. Ce choix illustre la philosophie de ceux qui choisissent de brûler la vie “par les deux bouts”. Au demeurant, une tendance mérite l’attention. En 2017, l’homo sapiens a été continuellement abreuvé de messages relatifs au transhumanisme, à l’humain augmenté et même à l’immortalité. Le big data alimenté par l’activité de nos cerveaux, l’innovation dans les biotechs, les prothèses et les mods de toutes sortes vont-ils allonger notre existence? Chaque année, ce sont les primes d’assurance maladie qui augmentent en principe. Pas l’humain. Pas la durée de la vie, ou alors si peu.

 

Le 30 octobre dernier, à l’occasion des dix ans de l’émission “Toutes Taxes Comprises”, un débat avait été organisé. À cette occcasion, plusieurs intervenants scientifiques et médecins avaient mis en garde l’assistance contre l’espoir démesuré dans l’allongement de l’espérance de vie.

L’accès à l’eau potable et à l’hygiène de base a permis à l’homme de vivre jusqu’à la soixantaine. Ce sont des médicaments de base aujourd’hui peu onéreux (antibiotiques, antihypertenseurs, anti-ulcéreux, etc.) qui nous permettent de vivre jusqu’à 70 à 75 ans.

Le progrès thérapeutique lutte aux frontières de la vieillesse encore, trop souvent synonyme de dépendance. Surtout, ce sont des déterminants sociaux (éducation, milieu socio-économique) qui conditionnent le plus le risque de survenance des désordres métaboliques majeurs comme le diabète. Vivre en bonne santé demeure largement un apprentissage.

 

L’allongement de la durée de vie n’a rien d’un progrès automatique. Aux Etats-Unis, les décès par overdose expliquent un recul de l’espérance de vie pour la deuxième année consécutive. Pas facile de vanter les miracles de l’innovation quand la société en est encore à lutter avec les bons vieux opiacés.

 

Manifestement, nous sommes loin de l’homme 2.0. Au fond, deux discours s’affrontent. Le premier est celui de la limite de l’homme et de sa programmation pour la mort. Nous ne serions heureux qu’en l’acceptant. Le deuxième parie sur l’émergence d’un nouvel homme, à force de jouer avec ses molécules, avec ses cellules et avec les formules.

 

Plusieurs milliardaires ont débloqué des milliards afin de vaincre la mort. Evidemment, ils ont beaucoup à perdre en passant de vie à trépas. La lutte des puissants contre la mort est ancienne. Le premier empereur de Chine, Qin Shi Huang, avait levé une armée de soldats en terre cuite pour l’accompagner dans l’au-delà, sans avoir omis de mandater les lettrés de son temps dans le but de trouver le secret de l’immortalité.

Aujourd’hui, une partie des sommes colossales envoyées dans la Silicon Valley par les Occidentaux pianotant furieusement sur les claviers de leurs ordinateurs sont dévolues au soutien de projets envisageant l’immortalité en 2045, 2050, 2100 ou même 2200. Faut-il rire de ce qui n’est que rêve, voir un caprice de milliardaire, d’après nos connaissances médicales actuelles ? Faut-il imaginer la faucheuse faire sienne le trait d’esprit de Marc Twain : «les annonces de ma mort ont été très exagérées»?

 

Un discours consiste à dire qu’un marché colossal est en train de s’ouvrir. Nécessairement, les investissements vont se muer en offres. Elles solliciteront une nouvelle clientèle, même si celle-ci ne verra pas sa durée de vie significativement allongée, dans un premier temps. Un observateur comme Laurent Alexandre ne ne cesse d’attirer l’attention des Européens sur le fait que les milliardaires américains et chinois ont désormais un coup d’avance, ne serait-ce que sur le strict plan de la compétition économique.

 

La vie est business. La mort est business: après tout il faut bien que les entreprises de pompes funèbres soient rémunérées pour les services rendus au moment d’en finir avec ce monde. L’immortalité, aussi et surtout, est business. Tout est business. Quelle que soit notre foi dans l’humanité augmentée, le business nous enterrera tous. C’est lui qui est immortel et nous qui sommes trop humains.

 

(Photo: autoportrait de Pierre Bonnard)