Contes fantasmagoriques de Montreux

Des contes d’aventure, d’épouvante, d’amour à Montreux, basés sur des vérités, des légendes ou… l’imagination du conteur, l’écrivain montreusien Luciano Cavallini,
Derrière les paysages idylliques de Rousseau, il y eût des évènements que nos aïeux ont étouffés: de la romance, de l’angoisse ou de la nostalgie…

Paru le: 11/04/2016

L’étrange mort de Lord Archibald Radtford

Voici le 80ème conte de l’écrivain montreusien Luciano Cavallini. 16 ans révolus 😉
Une fiction qui a pour écrin le Caux-Palace… Bonne lecture!

L’étrange mort de Lord Archibald Radtford
Genre : Policier-Noir Polar

Une enquête du Commissaire Isabelle Gardel et de l’Inspecteur Germain Nadal

à Jenny B.

Pensez-vous que l’on puisse encore croire aux sciences humaines?
Il est redoutable même d’y songer, et l’on peut visiter tous les séminaires s’y rapportant et ce dans le plus féérique des endroits, rien n’y corroborerait. On ne parvient qu’à constater les outrages du grotesque infiltré dans notre quotidien, qu’il soit accidentel ou pas, même dans le plus paradisiaque des lieux.

C’est ainsi que l’on trouva le corps raidi de Lord Archibald Radtford à l’entrée du Caux Palace, plus principalement à l’endroit menant au Réarmement Moral, devant ce soir-là manquer cruellement de munitions…

Lord Radtford était un éminent politicien britannique, plusieurs fois décoré par Sa Majesté la Reine Elisabeth. Il avait su mener à bien bon nombre de missions liées aux principaux problèmes humanitaires, tels que la faim dans le monde, la gestion des carburants fossiles, l’éthique concernant la pharmaceutique et les recherches en découlant, souvent testées sur la population à son insu par le système des «chemtrails», ces vastes traits de condensations «essaimés» à l’arrière d’avions spéciaux volant en haute altitude. Et ces derniers faits le tenaient particulièrement en haleine depuis plusieurs mois, pour ne pas dire en apnée plusieurs années.

On voyait à l’œil nu de suite à quelle genre de traînées l’on avait à faire, rien qu’en observant la longueur et l’épaisseur de leurs traces laissées derrière les réacteurs, ou autres buses de largages moins conventionnelles.

Peut-être était-ce pour cet intérêt notoire en menaçant d’autres et dont il ne se cachait pas, qu’il sembla qu’on aurait pu flinguer le Lord sur place et de nuit tant qu’à être plus discret. Le coup avait porté loin à la ronde, et ce qui restait du vieux palace eut un triste retour de flammes au milieu des ténèbres.

On ne voyait rien, cirage des plus noirs sur la plaine constellée d’un peu d’étoiles urbaines. Le parc piquait sous l’ombre et le reste des abords rognés s’éboulaient dans la plaine.

Le cadavre gisait au sol, d’une distinction surprenante. L’aspect vestimentaire seul détonnait sous les blessures; en effets, des trous disgracieux et profonds se permettaient d’abondamment saigner et de maculer les luxueuses soieries “McGrégor” de Lord Radtford. 

Comme le Monsieur était pour le moins corpulent, il avait – lors de sa chute – fauché toute une série de livres et de fascicules empilés sur des présentoirs. Certains se trouvaient même mouchetés de fines gouttelettes de sang.

C’était peu ragoutant à observer. Sur le porche, le bulbe de l’ampoule fumait encore, bien que déjà hors d’usage depuis un long moment.
Il faisait cru, et si le sang coagulait, le reste caillait sur place.

Claquements de portières, bleuets des gyrophares.
Longue dague pâle en manteau bleu, les lèvres reptiliennes et les attaches aussi coupantes que des faucilles, la Commissaire Isabelle Gardel arriva sur place avec l’Inspecteur Germain Nadal, son acolyte.

Il n’y avait eu aucun témoin sur place, le coup avait claqué tout seul à l’intérieur et dans l’obscurité la plus totale. Isabelle Gardel, cave comme un bulbe de butane, se figeait au-dessus du cadavre, alors que ses joues semblaient se ronger plus encore, emplies de reflets verdâtres ne présageant rien de bon. Elle se tapait ses fameuses hypoglycémies habituelles. Madame la Commissaire Misère devait constamment prendre la becquée, son clapet de cou ne supportant pas deux morses de suite sans souffrir de nausées. Ce qui la rendait irascible au possible. Mais là, elle avait prévu ce qu’il fallait. Un thermos de noir chaussette, et une espèce de sandwich au fromage asséché et croûte sans mie.

Nadal tournait autour du cadavre comme d’un rond point, et autour du pot, ce qui agaçait la Commissaire. Caux demeurait sans écho, il avait fallu insister lourdement pour décrocher un responsable des lieux. En gros, le gérant Réarmement et le directeur de l’Hôtel Institute of Management. Tous les prestiges des hauts de Montreux devenaient centre de taxidermie. Et peut être accessoirement théâtre de crime politique.
 – Le coup est tiré dans la tempe, on dirait juste un suicide, fit Nadal encore somnolent.
 – Juste! Ben là si tu trouves pas mieux… On va pas aller loin, c’est un peu raide, non!
 – Mais la justice est raide, Isa… Regarde… On voit pas de trace de brûlure autour de l’impact, ni de poudre sur le col ou le veston, ni aucune douille au sol.
 – Oui mais y’a des andouilles partout reprit Isabelle Gardel, rognant à sec dans son morceau de plâtre. La prochaine fois, on te servira un flag et tu seras content!

À part détourner le regard en se tenant le bide, les curieux du Caux Palace embarrassaient l’espace en jérémiades notoires. C’est que l’homme étendu était bien assis dans la société. On se passerait de ce genre de publicité! On passerait même tout court sans demander son reste…
 – Mort sur le coup.
 – Non sur la tempe, se cru obligé de reprendre Nadal.
 – Bon là tu deviens lourd et ça nous encombre Germain!
 – N’empêche que le dessus du couvercle à morflé! T’as vu Zaza, y’a tout le contenu du gigot qu’a giclé sur le décor!
 – Nadal c’est bon, on a vu! Va plutôt prendre les dépositions de ces personnes et laisse-moi bosser un instant sur le macchabée. Et arrête avec ces sobriquets!
 – Oh moi tu sais, je disais juste ça comme ça. Histoire de détendre un peu la place des fêtes!

Isabelle fouilla partout, ouvrit quelques portes avec le bas des manches léchant ses doigts. La phobie d’être infectée par les marques des autres. Cela venait du fait qu’elle ne cessait jamais de relever les empreintes digitales de tout un monde peu recommandable. Puis, aussi, elle se tirait les peaux faute du tarot. Un jour, elle serait pareille à la Vénus de Milo qui devait avoir aussi commencé par se ronger les ongles. Il paraitrait que ceux qui se rognent ainsi, finissent par se bouffer la moitié du corps durant leur vie!

Mais revenons vers les deux responsables fantomatiques. C’était dur d’interroger ces deux personnes. L’une parlait un mauvais portugais, et l’autre un sale anglais. Et Nadal ni l’un ni l’autre. On n’avait rien vu ni rien entendu à part la détonation. La tasse de thé s’était fêlée toute seule, et les sous-tasses ne comprenaient pas ce qui leur arrivait! C’est vrai que quand on se creuse un trou dans la nuit, c’était comme forer un tunnel sous un tas de charbon!
– Je veux voir la liste de tout ce petit monde assistant à ce séminaire. Quand donc doit-il s’achever?
– Il est fini depuis deux jours, fit le responsable portugais très imbu de lui-même, Joao Da Silva Pairez del Monsio-Galion, le dernier ferme la porte. Pour les pensionnaires, il faut voir avec Monsieur Li Ho Chu, car ils logent au HIM.
 – Li Ho Chu… Je vois… C’est bien notre veine, là!
 – HIM… C’est vrai que ça sonne mieux que HLM ! On verrait pas cette engeance crécher ailleurs qu’ici, hein ma Zabou!

La Commissaire se releva, flanqua la faux de ses poignets en bordures de poches, cilla des yeux et eut un profond retour de blanc sur le visage. Cela venait aussi du fait qu’un des réverbères du trottoir ne fonctionnait pas et que Nadal finirait par lui faire très certainement péter un plomb! On voguait plus sous des reflets qu’à la lumière proprement dite. Si toutefois on pouvait parler de propreté au-devant de telles circonstances.

Il y avait une centaine de personnes qu’Isabelle Gardel éplucha avec Nadal, main droite osseuse et luisante crispées sur la souris de l’ordinateur. Des banquiers, des industriels, des notaires, des médecins, que du beau linge quoi. Elle déroula le fichier d’un doigt nerveux, agaçant la roulette de défilement par à-coups convulsifs. On voyait bien les tendons du poignet tressauter fébrilement sous le peu de peau enveloppant la finesse du petit animal.
 – En tous les cas le type s’est pas raté ! En se faisant sauter le caisson, ça lui a du coup niqué tout le couvercle !
Une fois de plus, Nadal manqua une occasion de se taire.
 – D’abord Germain, qu’est-ce qui pourrait te faire supposer qu’il se soit lui-même fumé, et que ce n’est pas quelqu’un d’autre qui l’aurait généreusement aidé, hein!
 – Parce qu’un assassin c’est flingueur, et que lui c’est plutôt style suicidaire !
 – Tu vois très bien où je veux en venir, là! Nadal, s’il te plaît, pourrais-tu me rendre un petit service qui me serait ô combien plus utile que tes pseudos conclusions hâtives ?
 – Quand t’es charmante comme ça sur place, ou que tu me contactes par Skype ou portable avec ce même bonheur et sourire claironnant dans la voix, c’est jamais gratuitement Isabelle! Je te connais comme si je t’avais faite!
 – Je veux juste que t’ailles au buffet me remplir ce verre de café avec un croissant, si tu veux bien. Ce sandwich est infect! Et inutile de déballer nos affaires en public, et qui plus est sur une scène de crime.
 – Ça va, tu pourrais attendre que je te l’aie rendu ton petit service, avant de redevenir sèche et revêche 
 – À propos de sèche, je peux m’en allumer une, fit le directeur HIM. Ce sang, cette odeur…
 – Donc reprit Isabelle Gardel, sans relever, alors que Nadal s’éloignait vers le buffet en haussant les épaules, vous penchez plutôt pour un suicide? Et où se trouve l’arme du crime? Les douilles, les traces de poudre sur les tempes?
 – Pour ce qu’il reste de tempes, reprit le gérant portugais…
 – Et pour la poudre, elle a pris l’escampette, rajouta en deuxième couche le directeur Li Cho Hu.
 – Vous avez tous de l’humour, là! Vous en aurez peut-être un peu moins lorsque le légiste aura fait son boulot. En tous les cas je vous demande de rester à notre disposition, pas question de vous offrir un petit voyage Dieu sait où pour l’instant, là!

Ses longs bras fusèrent des poches, gainés de veines bleutées sous les mercures d’iode continuant d’embrumer le trottoir. Il y avait beaucoup de sang partout; en y regardant de plus près, on aurait presque dit de l’art contemporain, tant certaines gouttes semblaient finement disposées.
 – Ton café Isabelle Pis pour les croissants c’est écrit dommage, je t’ai pris un pain au lait. Et ne te sens pas obligée de me remercier.
 – Ça va là, j’ai besoin de «computer» sans bruit. Sinon je vais rien  performer» du tout de la matinée! 
 – Tu te crois où Zabou avec un langage pareil, au FBI? Et fais gaffe y’a un peu de café qui a coulé par le couvercle.
 – Non mais avec de tels branleurs on n’avance pa! Tout est tellement lent dans ce pays! Allez, «come on! Just get to your fuking point!»
Beurk… On dira grossière mais pas vulgaire. Isabelle était française. Nadal préférait gouter à la lenteur contemplative des Suisses, plutôt qu’aux infarctus des gens stressés made in USA.

Stop là! reprit le Directeur du HIM, arrêtez-vous sur ce nom. Je me rappelle que ce type est médecin, il m’a même dit avec une certaine vantardise qu’il s’occupait personnellement de la santé de Lord Radtford.
Sur ce, le personnage éternua en servant de brumisateur collectif.
 – Désolé, une angine à streptocoques qui n’en finit pas. Vous inquiétez pas, je suis sous antibios.
 – Bon Nadal, fit profondément dégoutée Isabelle Gardel qui avait déjà du café plein les doigts, tu vas immédiatement appeler ce numéro, moi j’attends le légiste, puis on file au buffet, on fait le point, et avant la fin de matinée l’affaire sera bouclée, c’est moi qui te le dis, là.
 – Oui c’est ça! Bouclée! Je vois. Maintenant on boucle les affaires mais plus les suspects! Et tout ça entre combien d’hypoglycémies, entre deux?
 – Tout dépend des doses qu’on me trouvera dans les veines, selon le nombre de personnes qui continueront à me pomper le sang!
 – Bien sûr, se sont toujours les autres qui dégustent, jamais ton pédigrée, non, non…
 – Tu vois que des fois tu me reçois cinq sur cinq!

Centre de Montreux, au Lino’s, fin d’après-midi, juste après la viscosité insupportable des seize heures. Café plein de mémères hachurées et de vidéos décérébrantes. Résultat tu tiercé ? Nadal toussait comme un malade, suite aux copieux éternuements du directeur Li Ho Chu. Qui semblait être passé de manager HIM à spécialiste HIV, autrement dit on lui avait redoré le blason! Des quintes horribles qui agaçaient profondément la Commissaire Isabelle Gardel qui ne supportait aucun malaise lorsque ce n’était point les siens qui se trouvaient en avant-scène. Ce que lui fit gracieusement remarquer Nadal, une fois de plus.
 – Je te connais comme si je t’avais faite, Zazou! Tu sais pas ce que c’est que d’avoir cette merde à streptocoques!
 – Ah non, là! Pas Zazou, pas ce truc moche!
 – Alors ce rapport du légiste?
 Quand t’auras fini de cracher. On peut y aller? C’est bon là?

Désolé mon gars, mais point de meurtre, encore moins un suicide. Ni une quelconque affaire liée à l’industrie, heureusement, mais je sens que ce sera pour une autre fois, je sais pas pourquoi… Non. Il s’agit «juste»… Juste d’une hémorragie interne provoquée elle-même par la poussée consécutive du liquide encéphalo rachidien qui n’était plus traité correctement par les ventricules cérébraux. Et comme Lord Radtford s’était fait trépaner il y a peu de temps, sa cicatrice pariétale n’avait encore pas reformé un cal osseux suffisamment solide pour tenir sous une telle pression. Sous la poussée du sang accumulé en anévrisme, puis de ce liquide encéphalo-rachidien, plus encore d’une plaie opératoire cicatrisant mal, que veux-tu mon gueux, tout cela a fini par péter d’un seul coup comme un puissant geyser!
C’est une poussée interne et non pas une perforation externe qui a buté le bonhomme, Nadal. Ce qui explique ce sang partout. Voilà, pour faire au plus court. Pas de meurtre pour une fois, aucun crime. On peut rentrer. C’est tout. Je vais me coucher, j’en peux plus. C’est décevant, tout cela est bien plat!
 – Te coucher, pis quoi encore!?Ça explique pas le coup de pétard entendu par certains témoins!
 – Coups de pétards, certains témoins? Tu as bien vu qu’une ampoule avait sauté devant la porte principale, oui, ou non? C’est elle qui a provoqué cette détonation, et rien d’autre. D’ailleurs elle fumait encore quand nous y étions. Ce doit être un faux contact, c’en est plein dans ces vieilles bicoques.
 – Comment ça Isabelle, c’est tout? Un faux contact? Pis ton envie d’aller dormir, après tout ça! T’es pas faite comme les autres, toi! Nadal eut une nouvelle quinte.
 – On peut pas mieux conclure qu’avec ce qu’a dit le légiste, crois-moi il y a rien à ajouter! Ah, Nadal! Vous avez que des maladies qui n’existent pas ailleurs dans ce foutu pays ! Une angine à streptocoques, j’en avais jamais entendu parler avant, là!
 Elle eut son fameux coup de blanc.
 – C’est comme toi avec tes hypos. C’est pas mieux! On dirait un chaton qui blêmi entre deux tétées. T’as tout le temps besoin du sein!
 – Ben c’est comme ça! Pour pouvoir «performer,  je dois manger peu à la fois, mais souvent! Parce que j’ai le cerveau qui «compute» à mort tout le temps et à toute allure, mine de rien mon gars!
 – Ce langage binaire Zabou… Tu devrais vivre aux States! Tu fais quoi encore maintenant?
 – Ben je m’en vais, on a assez perdu de temps ici, non?
 – Mais on a pas payé!
 – Je te rembourserai la prochaine fois.
Isabelle Gardel ouvrit la porte du Lino’s à l’aide des bouts de manches lui servant continuellement de moufles.
 – Pis arrête avec ces sobriquets Nadal, s’il te plaît, là!
 – Là?
 – Oui, là!
 – Isa je te connais…
 – Oui je sais! Comme si tu m’avais faite. Mais si c’était le cas, j’aurais encore plus de défauts!

Dans le ciel de Montreux, les avions de ligne passaient bien au-dessus de toutes les préoccupations humaines. Certains avec des traînées de condensation semblant peu coutumières.

En Angleterre, parmi la correspondance privée de Lord Radtcliff, on trouva de bien étranges propos et mises en garde, ainsi que des factures concernant des achats de silence.

La belle Gardel ne pourrait peut-être pas dormir aussi paisiblement qu’elle le souhaitait, son sommeil risquerait de ne pas être non plus de très bonne qualité.
Ce qui est souvent le cas, lorsque la météo passe à l’orage…

© Luciano Cavallini, membre de l’association vaudoise des écrivains (AVE), CONTES FANTASMAGORIQUES DE MONTREUX, « La mort étrange de Lord Archibald Radtfort», mars 2016 – Tous droits de reproduction réservés.