«Les Trois Cloches» de Gilles a été interprété par Frank Sinatra
La célèbre chanson “Les Trois Cloches”, composée par notre Bourgeois d’Honneur de Montreux Gilles (Jean Villard), interprétée en français notamment par Edith Piaf et Les Compagnons de la Chanson, a été traduite en anglais sous le titre “Litte Jimmy Brown and the three bells”, et a été interprétée entre autres par Frank Sinatra, The Browns et Tommy Dorsey.
(Photos Fondation Jean Villard Gilles)
Voici le discours en vers prononcé par Gilles lors de la réception de sa Bourgeoisie d’Honneur, au Château du Châtelard en 1975:
A l’accueil de Montreux, ce jour, ne vous déplaise
Je vais pour répondre et me sentir à l’aise
Sans forcer mon talent prononcer mon discours
En vers alexandrins, comme je le fais toujours
Pour maîtriser le flot d’une vaste éloquence
Dans quoi je me perdrais. J’ai besoin de cadence
Et des rimes, bien sûr qui marchent sans raideur
Mais oui, tout simplement au rythme de mon cœur.
C’est un rythme accordé à ces quatre-vingt berges,
Neuf cent soixante mois que ma carcasse héberge.
Oui, elles sont bien là ces années, je les sens
Au profond de mes os, de mes nerfs, de mon sang.
Vingt-neuf mille deux cents jours, Seigneur, et des poussières
Que j’ai vécus déjà, faits d’ombre et de lumière
Et que cette commune où jadis je suis né
D’un titre honorifique a voulu couronner.
Trois bourgeoisies d’honneur, sur la terre vaudoise:
Daillens, St-Saph’, Montreux. Diable, je m’embourgeoise !
Attention, mon ami ! C’est trop, ça fait causer.
Mais un pareil cadeau ne peut se refuser
Et je me réjouis puisqu’enfin cette fête
Prouve qu’en son pays on peut être prophète.
Ainsi donc, me voilà dans mes quatre-vingts ans
Vigneron à St-Saph, à Daillens paysan,
Citadin à Montreux, ainsi tout s’équilibre.
Avec ces trois états, je reste un homme libre
Car l’important, je crois, pour nous, en vérité,
La rose mise à part, c’est bien la liberté.
Oui, cette liberté j’appris à la connaître
A Montreux, dans ces lieux heureux qui m’ont vu naître.
Ils ont été pour moi comme un grand livre ouvert
Où j’ai trouvé de quoi bâtir mon univers.
Ici j’ai tout appris quand, dès mon plus jeune âge,
Mes yeux se sont ouverts sur ce beau paysage,
Ce grand horizon bleu qui chante sous le ciel
Et suit, en chatoyant, la marche du soleil.
Voilà pour la beauté. Mais la beauté je pense
Ne serait qu’un décor vide sans la présence
D’une âme qui est là, d’une âme comme un feu.
Celle que nous révèle un petit peuple heureux,
Un monde familier fait des mille visages
De nos parents, d’amis, de nobles personnages
Et d’humbles travailleurs, ceux qui, jour après jour,
Assurent la relève. Et voilà pour l’amour.
L’amour et la beauté, sources de poésie
Et de musique aussi, dont j’ai nourri ma vie.
Ces trésors, c’est ici que je les ai trouvés.
Quant au jeu théâtral dont j’avais tant rêvé
Je m’y suis essayé, en première, au Collège.
Le bougre, il m’a séduit, pris dans ses sortilèges
Et ne m’a pas lâché, jusque dans la chanson.
Le grain était semé, que serait la moisson ?
Il ne me restait plus qu’à tenter le voyage,
Emportant avec moi ce modeste bagage.
Ainsi, visant Paris, quand un jour j’ai quitté
Ce Montreux d’autrefois, j’étais sans m’en douter
Armé pour le combat que la vie nous impose.
Lorsqu’au rosier l’épine apparaît sous la rose
J’ai pu cueillir la fleur sans me piquer les doigts,
Devenir parisien tout en restant vaudois.
Et puis j’ai vu fleurir la graine ensemencée
En chansons où j’ai mis mon cœur et ma pensée,
Mes rêves de justice et de fraternité
Ornés d’un rien d’humour, lequel en vérité
Consiste à revêtir d’un séduisant sourire
Le mot précisément qu’il ne fallait pas dire.
Que pourtant je disais et que je dis encore
Pour le faire avaler aux cuistres de tous bords,
Enrobé gentiment de petites musiques.
Et c’est, ma foi, la clé de l’art dit satirique.
A l’étranger, souvent, j’ai parlé du pays.
La Venoge a coulé dans les rues de Paris,
Dont les gens sont entrés dans ma Pinte vaudoise
Goûter l’humour vaudois après l’humeur gauloise;
Où j’ai fait alterner la Java des Faubourgs
Avec le Männerchor, bien sûr de Steffisbourg.
J’aime ce qui unit, j’aime ce qui relie.
Si donc, à nos voisins, j’ai chanté l’Helvétie
Chez nous, j’ai célébré Paris, quand la terreur
Hitlérienne y régnait, dans les temps du malheur.
Curieux de l’univers, je le fus dès l’enfance
Dans le Montreux d’alors, centre des élégances
Où l’étranger croisait, dans la rue, fréquemment
Des vaches en troupeaux, qui montaient à Jaman !
J’ai gardé dans mes yeux cette plaisante image
Qui m’a fait découvrir ainsi les deux visages
De ce pays, dont l’un me parlait du terroir
L’autre de l’univers, et moi sans le vouloir,
Ni renier jamais mes racines profondes,
Déjà je me sentais un citoyen du monde
Dans ce pays témoin de mes jeunes amours
Où je reviens souvent, où j’espère toujours
Retrouver mon enfance. Et voilà, je termine.
Les Muses que souvent, sans pudeur, je taquine
M’ont dit à moi qui suis chansonnier-oiseleur
Que le nom de l’ami, mon combourgeois d’honneur
Vogelsang, en français, c’est chant d’oiseau ! Merveille
Chansonnier, chant d’oiseau, deux noms qui s’appareillent
Pour saluer en cœur, leur frère l’Echanson
Chargé de nous verser la précieuse boisson
Jaillie de nos coteaux.
Buvons donc tous ensemble
Dans ce vieux Châtelard où l’Esprit nous rassemble
A nos Autorités pour ce charmant accueil;
Aux copains disparus dont nous portons le deuil;
Au tendre souvenir de certains clairs de lune
Où nous parlions d’amour.
Buvons à la fortune
De Montreux, ce Montreux qui fut, selon mon cœur,
Et pour les jeux d’enfant le pays du Bonheur.
Puisse-t-il ce bonheur, pour chacun, pour chacune,
Grandir et, dépassant, un beau jour la commune
S’étendre au monde entier. C’est le vœu le meilleur
Que forme, chers amis votre humble serviteur.
Jean Villard-Gilles
Paris-St-Saphorin, le 23 novembre 1975