Chez le dentiste
Tout d’abord, ceux qui stressent rien qu’à l’idée d’aller chez l’arracheur de dents, je voudrais les rassurer. Avant c’était douleurs et joues insensibles pendant des heures, sans parler du goût horrible dans nos palais. Au sortir, on prenait soin de vous avertir : si vous avez mal, prenez ceci ou cela, mais en principe vous ne devriez pas souffrir. Ce qui n’étai ten sorte qu’une odieuse manière de nous cacher la vérité. Un pieux mensonge comme aiment à dire certains. Moi j’appelle ça se foutre de ma gueule. Ma formule est plus parlante.
De nos jours, l’homme de l’Art a des moyens modernes pour prendre soin de nos mâchoires. Et les résultats sont bien meilleurs… un peu plus chers mais bon il faut savoir souffrir (du porte-monnaie) pour être beau.
Conscient de votre impatience, j’en viens à ma dernière visite. Tout d’abord il y a le décor. Ambiance feutrée, moquette, salle d’attente éclairée ?à giorno?, profonds fauteuils et bien sûr, lecture en tous genres pour vous détendre. C’est fait, je suis détendu. Point besoin de lecture. Par la fenêtre j’aperçois un immense sapin bleu et, bien caché dans les branches, un nid… mon observation allait bon train lorsque une charmante créature m’appelle… oui, c’est moi, j’arrive.
Me voici dans l’antre du spécialiste. Pour me rassurer, il ne ferme pas la porte ce qui en clair signifie pour moi: tout va bien se passer, tu ne crieras pas comme un goret qu’on égorge. Confortablement installé dans le fauteuil du condamné, prêt à subir, j’écoute avec attention les explications qu’on me donne. Il est question de “digue”, de résine et d’anesthésie (remplace piqûre. Rien que le mot faisait mal). Sur un écran, je découvre mes dents en grand format et en couleurs.
Puis, sur le même écran, un documentaire sur la pêche artisanale en Afrique me rappelle La Mauritanie et un superbe séjour professionnel. Je me mets à raconter ça au toubib. Patient et poli, il m’écoute et finalement me dit qu’il va commencer. Du coup je la ferme… et je l’ouvre pour lui donner accès aux tréfonds de ma bouche.
Entre deux mains qui commencent à farfouiller ma mâchoire j’admire quelques minutes les images, mais bientôt j’abandonne. En gros plan, je vois un truc bleu ciel passer devant mes yeux, c’est la fameuse digue sensée retenir la flotte pendant les soins. Du coup, j’imagine mon clapet transformé en un ravissant bassin d’eau douce… Arrive le moment de l’anesthésie qui se fait tout en douceur, par dosettes totalement indolores. Ensuite interviennent les instruments. Divers bruits résonnent dans mon crâne. Certains sont aigus, d’autres ont un ronronnement de basson. Difficile de déglutir avec un tel harnachement dans le bec…
Le documentaire a disparu de mon champ de vision. À la place, je peux scruter la profondeur des fosses nasales du monsieur… rien à voir avec les profondeurs de la mer où les pêcheurs s’activaient sur l’écran. Du coup, je ferme les yeux et je ne tarde pas à être totalement absent de ce qui se passe… complètement détendu, je m’endors presque et je sursaute lorsque j’émets un petit ronflement. Un peu plus, je faisais ma sieste ici, bien à l’aise. Je n’aime pas trop quand ma sieste est interrompue… Le fauteuil reprend sans bruit sa position initiale et je m’en extrais tout étonné que ce soit déjà terminé.
Alors, braves gens de tout âge, je peux vous le dire, ne craignez plus une séance chez l’arracheur de dents. Allez-y sans crainte et rentrez chez vous tranquillement, sans qu’aucune douleur ne vienne vous prendre la tête…
Pierre-André Schreiber
(photo Conor Lawless)