Montreux: la route du lac, que de problèmes!
La route qui traverse Montreux en longeant le lac, fréquentée aujourd’hui par quelque 15’000 automobilistes par jour, ne s’est pas faite du jour au lendemain! Voici ce qu’en disait Eugène Rambert en… 1877:
Cette route du lac ne s’exécuta point sans soulever plus d’une difficulté et plus d’une réclamation, tant de la part des communes que de celle des propriétaires bordiers. Berne, il faut le dire, s’arrangeait de façon à en rejeter sur eux toute la charge, pesant sur les uns ou sur les autres, selon les cas. Près de Chillon, par exemple, le rélargissement eut lieu aux dépens des fonds situés en amont, et sans indemnité aux propriétaires. Ceux-ci réclamèrent. Sur quoi le bailli décida que, pour les dédommager, l’entretien de la route serait à la charge des propriétaires en aval, dont plusieurs, probablement, étaient les mêmes que ceux d’en amont. A Vernex, la route fut longtemps battue par les vagues du lac, et il fallut faire un grand mur pour la soutenir: on le mit à la charge de la commune, qui adressa au bailli ses humbles supplications pour en être dispensée, et les porta même jusqu’à Berne. On venait justement de réparer le chemin qui monte de Vernex à Sales, par Etombes, et l’on avait espéré qu’il tiendrait lieu de la route, amenant ainsi tout le mouvement au village même de Montreux. Mais Leurs Excellences ne répondirent que par de sévères censures aux prières de leurs sujets, et la commune s’exécuta.
Cette route laissait encore beaucoup à désirer. Elle suivait les caprices de l’ancien sentier, longeant ou délaissant la plage, montant ou descendant, avec des pentes de 8 et 10 pour cent; en certains endroits elle était assez étroite pour que deux chars eussent peine à se croiser; elle ne comptait qu’un pont, celui de la Veraye; les autres torrents, moins encaissés, se passaient à gué. Quand la Baye de Clarens, le plus mauvais, commençait à grossir, on retirait la planche qui servait aux piétons, et on les faisait passer par le lac; les chars attendaient qu’il plût au torrent de s’appaiser, et que les hommes de corvée eussent déblayé le passage. Les chemins qui mettaient la route en communication avec la plupart des villages échelonnés sur la pente étaient bien plus défectueux encore. De Veytaux, par exemple, descendait un chable. Quand on voulut le remplacer par un chemin, il se forma deux partis: l’un en faveur d’un tracé tendant à Chillon, par le They, l’autre en faveur d’une voie plus directe, sous le village. Les deux partis se trouvèrent d’égale force, et il fallut s’adresser au bailli. Les partisans du chemin du They reprochaient au tracé de leurs adversaires de mettre le village trop en vue, de trop attirer les
étrangers. L’argument parut très fort au bailli; il donna gain de cause à ceux qui le faisaient valoir. C’est toujours le même sentiment de peur: on dirait l’ombre du moyen-âge projetée jusqu’à nous.
(“Montreux, histoire et description Eugène Rambert”, 1877)
(photo Musée de Montreux)