Ernest Ansermet, qui n’aimait pourtant pas parler de lui, a fait une «causerie», le 15 mai 1965 à Chambésy pour raconter ses souvenirs devant une assemblée de médecins.
Extrait
L’ apprentissage au Kursaal de Montreux…
“[…] Et c’est le fait qu’il (lFrancisco de Lacerda, ndlr) était à Montreux qui me permit de lui succéder. Cette succession m’a été très favorable, parce que le travail consistait à diriger l’orchestre, sans répétition, tous les après-midi, pour les dames – les dames anglaises – qui prenaient le thé dans le jardin. On avait un énorme répertoire de musique légère, et pour perfectionner une technique de direction, tout cela était excellent. Et puis on avait tout de même, pendant l’hiver, chaque jeudi après-midi, un concert symphonique très sérieux, où j’ai eu l’occasion d’accompagner tous les grands virtuoses de cette époque: Pugno, Risler, Thibaud, Casals, etc. […] ”
Rencontre avec Strawinsky…
“[…] C’est ainsi qu’un certain jeudi après-midi, comme j’étais déjà féru de musique russe (j’en donnais souvent), j’ai vu arriver dans ma chambre un petit bonhomme qui s’est présenté, c’était Igor Strawinsky. Il s’était installé à Clarens en raison de la santé de sa femme, et il habitait juste dans la maison au-dessus de la mienne, où il était en pension.
Voilà donc encore un hasard, car sans cette rencontre de Strawinsky, je n’aurais pas rencontré Diaghilev, je n’aurais pas connu les Ballets russes et enfin, énormément de choses ne se seraient pas passées. Je me liai donc d’amitié avec Strawinsky et l’introduisis bien entendu aussitôt auprès de Ramuz et dans notre milieu des Cahiers vaudois, avec lequel il s’est senti, tout de suite, en profonde sympathie. Ramuz soutenait volontiers l’idée qu’on a trop l’habitude de diviser le monde par des parois verticales: il faut considérer les couches horizontales, disait-il, pour voir, par exemple, une couche paysanne qui se sent solidaire d’un pays à l’autre. Et c’est pourquoi un paysan vaudois et un paysan russe sont très proches l’un de l’autre. C’est ainsi que Ramuz et Strawinsky se sentaient tout à fait d’accord et qu’ils se rencontraient dans les mêmes goûts. Il en est né l’Histoire du Soldat, puis Renard, puis enfin toutes les oeuvres que Strawinsky a écrites à cette époque, et qui sont, je pense, celles de ses oeuvres qui resteront le plus longtemps. Donc, nous en étions là, en pleine effervescence des Cahiers vaudois, de l’amitié russo-vaudoise Strawinsky-Ramuz, et la guerre de 1914 est arrivée. […] ”
La guerre de 1914…
“[…] Lorsque la guerre de 1914 éclata, le Kursaal de Montreux a dissous son orchestre et je me suis donc trouvé sans emploi.