Contes fantasmagoriques de Montreux

Des contes d’aventure, d’épouvante, d’amour à Montreux, basés sur des vérités, des légendes ou… l’imagination du conteur, l’écrivain montreusien Luciano Cavallini,
Derrière les paysages idylliques de Rousseau, il y eût des évènements que nos aïeux ont étouffés: de la romance, de l’angoisse ou de la nostalgie…

Paru le: 20/02/2017

Le petit Berlin

Voici le 199ème conte de l’écrivain montreusien Luciano Cavallini. Avec une base de réalité…

Le Petit Berlin.
Genre: Récit-Fiction.


Lisez cet AVERTISSEMENT:
Le texte qui suit et la manière dont il s’enchaîne ne sont que pure fiction.

Cependant, aux dires de nombreux témoignages recueillis durant mon enfance auprès de mes grands-parents, et plus tard auprès d’anciens villageois de Chernex, il y aurait bien eu, sis au Chemin du Blanc de Chernex, d’anciens criminels nazis fortunés qui auraient scandaleusement pu s’y établir, échappant ainsi à toute justice.
J’ai pris l’exemple d’une cinéaste du parti Nazi, car c’était l’un, parmi d’autres témoignages, qui était le plus connu, dont on parlait en privé dans les familles, mais rarement dans la rue sans que cela ne forme une gêne indicible, et que malgré mon jeune âge de l’époque, j’étais parfaitement capable de ressentir.
Cet endroit avait été nommé, par les principaux intéressés qui m’en parlaient uniquement par bribes: «Le petit Berlin»

Elle était morte ce matin, à quatre vingt quinze ans, c’est un bel âge pour mourir.
De son vrai nom Ursula Dietrich Krauss.
Sa maison, dont les baies vitrées béaient sur l’ensemble de la plaine, embrassait tout l’arc lémanique, ainsi que l’arrière-fond de la plaine du Rhône.
La cuisine donnait sur la lisière de la forêt de Chamby, mais elle n’y allait pas beaucoup, car Madame ne quittait ni salon, ni chambre, ni ne faisait ses courses dans le village.
Elle avait pour cela un personnel zélé qui, depuis toujours, s’empressait de réaliser ses moindres caprices.

On pourrait dire que les uns comme les autres s’incrustaient parfaitement bien ensemble, à tel point que cette greffe ne formait plus qu’un seul et même organisme.
De quoi vivre bien et longtemps, sous l’emprise d’une telle évolution d’espèces.
Feue la grande dame avait œuvré de toutes ses forces, afin de parvenir au sommet de son art en promulguant la supériorité de la race aryenne, à laquelle elle croyait au point d’en faire une idée fixe à laquelle elle rattachait encore aujourd’hui ses moindres actes.
Elle y parvint rapidement, en fixant des images d’une force encore jamais inégalée sur la pellicule.

Un noir-blanc graphiteux, huilé de puissants contrastes, alliant la pierre maîtresse, chef-d’œuvre du Stade de Berlin et Axe de l’Univers, pétris avec les poitrails des anciens Dieux Germains, portant haut le flambeau d’UltimaThulé, et l’Aigle invincible du Reich ne devant former plus qu’une seule Aire sur le monde entier.
Créer une Cité, destiner un Continent au monde nouveau, produit par l’intelligence et les mains puissantes d’Albert Speer: Germania.
Les statues de l’aryen pur bombant le torse, se détachaient sous un ciel plombé de gouaches, en contre plongée et contre-jour, afin d’allier le repaire des cieux aux séjours terrestres de tous ces nus herculéens, gonflés à bloc et scandant – le bras tendu – l’hymne à la puissance qui règnerait sur une masse désormais débarrassée de toute décadence et chrétientés moribondes.
L’humanité entière se lèverait d’un nouveau baptême, laissant derrière elle tous les strates infectées d’un sang impur.

La vieille recluse mélangeait les traditions, s’en goinfrait jusqu’à plus faim, mais ne parvenait à digérer quoi que ce soit qui eût pu l’éveiller de cette hypnose collective agissant encore.
Elle avait cru au Nouvel Ordre Mondial et à l’adoration mystique des puissantes forces émergeant de l’Hyperborée, qui rétabliraient Force, Volonté, Puissance, Discipline, sur une jeunesse molle qui ne savait plus tenir debout. 
Elle ne croyait qu’en deux imprécations bibliques: «Aide-toi et le ciel t’aidera» et «c’est par le glaive qu’il faut s’emparer du Royaume des Cieux.» 

Elle avait totalement adhéré aux idées folles de la cosmogonie de Karl Horbiger, Karl Haushofer, Dietrich Eckart, les mages et conseillers du Führer, qui lui soufflaient ses moindres paroles, gestes et comportements à adopter devant les foules, tentaient aussi de lui insuffler la Baraka ou Vrill, cette force occulte ramenée par Heinrich Harrer lors de ses sept années de recherches concernant le tantrisme tibétain, importé directement à Berlin, afin de le retransmettre sans plus attendre à l’élite des hauts dignitaires Nazis.
Parmi eux: Herman Goering, Joseph Goebbels, Heinrich Himmler, Alfred Rosenberg.
On le sait peu, mais sur certains cadavres du front russe, on découvrit des visages asiatiques sous l’uniforme allemand.
Des soldats-moines tibétains, pratiquant la magie noire, mais totalement exclus du bouddhisme Mahayana traditionnel.

L’éducation grossière de Ursula Dietrich Krauss, fit en sorte que toute cette bouillie d’informations assaillant son esprit simpliste, sans aucune préparation préalable, provoqua en elle une indigestion morale et physique qu’elle prenait pour un engouement et une destinée glorieuse, qui la porterait directement en état de transe sur les grandes épaules du Reich, qu’elle se promettait de suivre avec toute son équipe technique, parfois même au côté d’Hitler.
Elle disait ne plus être apte à penser par elle-même, lorsqu’elle se trouvait a proximité de lui.
Ses pieds ne touchaient terre, c’est comme si elle se sentait ravie sur l’Olympe-même, aux côtés des anciens Dieux D’Ultima Thulé qui lui permettaient de partager l’agape des privilégiés.
Ses reins avaient besoin de cette houle humaine, de ces convulsions pétries par le feu des torches et les sons puissants de toutes ces poitrines scandant le seul et unique chant de son existence:

Ein Man – Ein Volk – Ein Reich !

Novus Ordo Seclorum.

Elle y croyait toujours, Ursula Dietrich Krauss, enfermée à journées entières dans sa maison doucereuse du Chemin du Blanc de Chernex.

Évidement, depuis, ça changeait avec les grands défilés du Stade de Nüremberg, accompagnés par les perversions de cet Aigle infécond, ayant retransmis ses métastases à plusieurs autres criminels s’en étant déjà servis comme effigie, depuis Caligula, Néron, jusqu’au brutal nain variqueux Napoléon Bonaparte, pour ensuite, comme on vient de le dire, être repris par Adolf Hitler.

Toujours la même puissance luciférienne occulte de destruction et de mort, l’aigle de plomb, “l’Aquile” SPQR.

Dès lors, lorsqu’on regarde cette pitoyable carcasse vidée de toute puissance, dans son cercueil de bois, recroquevillée et sans dimension, on se demande bien pourquoi et comment tout cela a pu exister et, surtout, comment la cécité ambiante mondiale, n’a jamais rien vu d’autre de plus proéminent que ce qui a été jugé grossièrement au procès de Nüremberg.

Ce ne fût que la partie exotérique des conséquences lucifériennes, ayant porté le monde à la ruine et à la désolation, à savoir: soixante-dix millions de morts au total, six-millions de juifs et tziganes et, parmi ces soixante-dix millions de morts, un million d’entre-eux qui furent des enfants.

 – Ces sales Américains, disait-elle souvent à son personnel! Se sont ces bâtards d’européens qui ont foulé l’Allemagne, en violant nos femmes sur les ruines de Berlin!
Ils nous ont volé sans scrupule notre belle technologie en armement, tous nos fiers ingénieurs!
C’est grâce aux savants nazis qu’ils ont pu aller sur la lune!
Sans Von Braun, ils se seraient fait avoir par les Russes!
Ils ont utilisé la guerre froide pour piller notre suprématie, notre civilisation, nos avancements, nos forces provenant directement du Vrill et de nos Dieux Nordiques!
Que savent-ils, eux?
Voyez seulement ce qu’ils sont devenus avec leur arrogance, jouant les policiers du monde, fomentant des complots!

Ah! On disait que notre grand Reich était un pays criminel!
Ils n’ont jamais été capables de mener une guerre à bien, car tout combat, pour être mené à son paroxysme, a besoin de forces autres que physiques, stratégiques ou monétaires.
Elles ne sont que la résultante de ces terribles forces que nous avions su convertir et que le monde entier, pour une seule fois, a pu constater par ses propres yeux!
Malheureux damnés! Ils auraient besoin de ce pouvoir que nous avions à l’époque, nous tous! La grande force du Vrill! Celle-là même qui nous avait déjà servi à vaincre Rome, et à nous emparer de l’Aigle Impérial!

Puis de reprendre encore et encore, tournés au lasso en boucles, les sempiternels propos de haine raciale, redondants, les bibliques et sans issue, retombant en cendres sur les têtes d’Abraham, Isaac et Jacob.

Les Hauts fourneaux Tops, Bayer, Siemens dont le fils, alors en bas âge, avait reçu une décharge de mitraille russe dans les jambes, Volkswagen, IG Farben, Ferdinand Porsche – ère des tanks de la Wehrmacht – de la Coccinelle, voiture créé par le parti Nazi pour le peuple, il faut le savoir… Et dont Walt Disney en fit un amour.

– Ça marchait, reprenait-elle furieuse, parce que nous avions cette main-d’œuvre de sous-hommes, partout, juste bonne à être disciplinée par nos maîtres, et voyez ce qu’il en sorti!
Le meilleur en armement, en social, en économie!
Grâce à un seul homme et l’éveil des forces du Soleil Noir, nous sommes passés du chômage, de la famine, de la boue des caniveaux au programme spatial Saturne, Apollo, à la conquête de la lune!
La conquête de la lune, le jour le plus important du monde, a été réussie grâce à l’ingénierie Von Braun!
D’ailleurs n’avez-vous jamais fait le rapprochement que le module LEM, qui a aluni dans la mer de la tranquillité, s’appelait Eagle, et portait notre symbole sur ses flancs?
Le peuple ne fait que bouffer, boire, ruminer, penser à ses petits privilèges, et ne voit rien, ne constate rien, ne s’intéresse à rien.
Oui! Ça bouffe, ça boit, ça défèque. Voici l’Homme.
La vieille race corrompue et décadente.
Aucune de ses manifestations de vie, ni aucune de ses occupations ne m’intéressent.
Rien de ce qu’ils font, comme des robots, parce qu’on leur dit que c’est le temps et la période pour les accomplir.
Que des veules et manipulés. Ils méritent tous ce qui leur arrive.
Aucune pitié, aucune compassion pour des aveugles volontaires, et des sourds sécurisés!
Qu’on se le dise, qu’on le répète, sans le Grand Peuple Germanique aryen, le monde entier, encore maintenant, serait encore plus, bien plus envahi par une sous-populace, et si on nous avait laissé accomplir le travail jusqu’au bout, plus rien ne nous réduirait à néant!
Alors l’Amérique, qu’elle se le dise une fois pour toutes, son espace et passé de nazi à Nasa!
Le programme spatial américain est allemand! Il est allemand, vous comprenez, allemand!

 – Il faut vous calmer Madame. Nous sommes toujours là, nous.
 – Assez! Plus personne n’est là!
Je ne suis bonne qu’à subir ces après-midis émollients de Suisse, sans qu’il ne se passe jamais quoi que se soit.
Comment peut-on encore vivre comme cela?
Les concerts du Vienna Philarmonic Orchestra
avec Furtwängler ne me suffisent plus, ni cette beugleuse d’Elisabeth Schwarzkopf. Connaître sa liaison intime avec Goebbels ne me console désormais plus.
Après avoir connu l’olympe, me voici retombée dans la boue du paganisme.
Cette vie ne vaut rien, elle n’a jamais rien valu, à part lui.
Sauvez mes films, cachez-les, et retransmettez-les aux plus dignes, à ceux qui seraient prêts à refonder un quatrième Reich.
Faites ça pour moi. Mais ne négociez jamais. Vous m’entendez? Aucune négociation avec qui que se soit.
Maintenant disposez…

Ces après-midis émollients.
Cette paix helvétique, cette immense propriété avec majordomes, gagnée grâce aux spoliations des chicots en or arrachés à la pince sur les gazés des camps de concentration, et autres immenses valeurs et trésors convertis en francs suisses, dans les principales banques de Zürich.

Pitoyable cercueil emmené au funérarium de Vevey, puis au four crématoire, sans service funéraire mais accompagné que par des chants allemands provenant d’un chœur de domestiques enfermés à huis-clos, afin d’exécuter une cérémonie particulière.

Une seule justice, une seule raison, cette cheminée qui verra se consumer le corps d’un des nombreux derniers chancres cancéreux survivant encore.
Une cendre maligne à ne pas mélanger avec la mémoire des autres.
Et pour celui qui ne sait pas, pour celui qui, ce jour-là, enfourna le corps de la honte aux flammes justicières, on pourra dire, pour une fois, que par sa besogne particulière accomplie ce jour-là, “le travail rend libre”.

Luciano Cavallini, membre de l’Association Vaudoise des Ecrivains (AVE)
© Luciano Cavallini, décembre 2014, Terreurs et angoisses de Montreux, «Le petit Berlin»– Tous droits de reproduction réservés.