Contes de noël pour enfants

L’écrivain montreusien Luciano Cavallini (qui nous gratifie chaque lundi d’une histoire fantasmagorique dans le blog “Terreurs et Angoisses de Montreux” – il reprendra en janvier) a écrit une série de 6 contes pour enfants, à raconter à vos enfants sans retenue. Nous commençons aujourd’hui. Il y en aura chaque lundi.

Paru le: 22/12/2014

L’histoire universelle des boeufries d’un âne et des âneries d’un boeuf

Voici le 5ème conte de Noël pour enfants de Luciano Cavallini.
L’HISTOIRE UNIVERSELLE DES BOEUFRIES D’UN ÂNE ET DES ÂNERIES D’UN BŒUF
Conte du lundi 22 décembre 2014. Les histoires racontées à ma fille Gaïa. 

Un âne et un bœuf se baladaient tranquillement sur les contreforts sablonneux de leurs territoires. Ils s’entendaient comme deux larrons en foire, racontant des histoires à dormir debout et des légendes déboutées.
L’âne disait toujours au bœuf: «Raconte-moi des boeufries!», tandis que le bœuf, reprenant de plus belle, lui répondait: «Et toi dis-moi encore tes âneries!» D’autres animaux de la ferme, aux alentours, parfois fatigués de leurs espiègleries, leurs criaient en chœur «Arrêtez donc un peu vos singeries! Ça finit par devenir fatiguant à la fin»!
À peine ces deux animaux se rencontraient-ils, que l’on pouvait s’attendre à toutes les fantaisies possibles !

 – Connais-tu l’histoire du bœuf qui voulait échanger ses cornes contre des ailes, disait l’âne?
 – Et toi, celle de l’âne qui aurait voulu se débarrasser de son bonnet sur la tête de tous les cancres de la terre?
 – Les ânes ne sont pas stupides!
 – Mais bien les humains, reprit le bœuf! Et qu’est-ce que tu crois? Ils s’amusent aussi à assommer nos intelligences sans pitié, lorsqu’ils veulent dénigrer un des leurs, en nous comparant à eux!
 – Tu sais quoi, reprit l’âne? On devrait leur jouer un tour un de ces jours.
 – Ah oui! Se serait une très bonne idée, mais quoi?
 – Là est la question, quoi?

– Je devrais arrêter de pousser les charrues sous le soleil, ou tirer la herse des labours, mais je ne donnerais pas cher de ma peau, pour sûr je finirai en chaussures!
 – Et moi cesser de tourner en rond pour moudre leurs céréales de malheur, qui servent uniquement à nourrir d’autres bestiaux pour la boucherie! As-tu vu la manière sanglante qu’ils ont de nous massacrer? Des familles entières en peu de temps 
 – Tu as raison! Nous sommes esclaves des hommes, de leur ignorance et suprématie. Nous devons secouer le joug!
 – Unissons-nous pour briser les mors!
 – Allons de par le monde leur apprendre que nous sommes des êtres sensibles, capables de ressentir et de penser.
 – Leur apprendre? reprit l’âne sans illusions. À quoi cela peut-il servir, ils sont incapables d’apprendre quoi que se soit! Surtout lorsque ça ne les arrange pas.
 – C’est bien vrai ce que tu dis. Ils mettent tout de suite les pieds contre le mur!
 – Et les enfants aux coins, en les comparants à nous…
 – Dans les deux cas il y a un mur, dans les deux cas point d’horizon…
 – Aurais-tu une idée dans la manière d’agir, reprit l’âne exaspéré? Je me vois mal retourner à la ferme comme si de rien n’était. On devrait accomplir un acte fumant, dont ils se souviendraient longtemps!
A cet instant précis, l’âne exaspéré, lâcha une de ces vesses dont il était devenu spécialiste.
 – Tu pourrais te retenir quand même! C’est toujours comme ça quand tu t’énerves, tout le monde doit le sentir.
 – Ah, mon bœuf! Faut bien que sorte ma rage.
 – Ben, je sais pas moi… piétine, rue, hennis, mais arrête de péter s’il te plaît!
 – Ecoute, ça me donne une idée… Pas très gentille… Mais on pourrait toujours essayer…
 – Oui quoi donc? Je suis curieux de savoir ce que tu as dans le ventre.
 – Dans le ventre, tu l’as dit! Comme tu as pu constater, je fonctionne au gaz, et toi… à l’électricité.
 – Tu ne sais plus ce que tu dis, l’âne! Que tu aies des gaz, c’est certain pour tout le monde. Mais moi, l’électricité?
 – Tu veux échapper de ta grange, je veux m’enfuir de ma meule. Seul nous sommes peu, à plusieurs beaucoup.

 – C’est d’une attristante logique mon vieux! Aussi voilà ce que nous allons faire, l’âne, puisque l’idée est lancée. Demain, arrange-toi de manger des herbes qui font gonfler et produisent beaucoup de gaz. Garde-les surtout, évite de les gaspiller! Ensuite, tu viendras me voir à la grange, quand tu auras fini de moudre ton grain. Je m’approcherai de l’entrée en frottant vivement le chambranle des portes avec l’aide de mes cornes. Puis quand cela commencera à produire des étincelles de frictions, toi, tu lâcheras des pets et nous ferons sauter la baraque! Tu saisis?
 – Que oui! Pour ça c’est une découverte le bœuf! On n’aurait pas pu trouver mieux.
 – Alors on fait comme ça? Quand les maîtres te détachent, on se retrouve dans le champ, et on passe de suite à l’action! 

 Le lendemain matin, tôt, l’âne trimait déjà sur sa meule à grain, à tourner indéfiniment en rond, la tête basse et le licol serré. Des kilomètres de cercles pour rien, des kilos de farine pour les hommes, des pains et des pains de souffrances inutiles.
A l’aube, le bœuf, tirait prestement la herse des labours, sous la crudité du sol et l’humidité de l’air. Ouvrant les sillons pour les semailles du grain que devrait moudre l’âne, pour la farine que devrait pétrir le boulanger. Mais ce jour serait un grand jour, on se libérerait de toute tyrannie en forçant les portes de l’enclos, en recouvrant la liberté par un énorme feu de joie.

En fin de journée, après le fourrage, après que la meule fût débarrassée de ses moindres scories, et que les champs soient arborés de beaux sillons luisants de terre brune fraîchement retournée, les deux compères se retrouvèrent selon accord, devant le chambranle de la grange.
 – Dépêche-toi fit l’âne, j’ai trop mal à la panse à force de me retenir. Si ça continue comme ça, je vais éclater!
 – Oui, oui, je frotte, je frotte…
 – Je sens que je vais plus pouvoir garder tout ça longtemps! Dépêche- toi!
 – Oui, oui, je frotte, je frotte…
 – Oh, mon Dieu… Je te jure, ça va exploser!
 – Oui, oui, je frotte, je frott…
L’âne, n’en pouvant plus, et qui finissait par avoir la panse d’un gazomètre, commença de sentir qu’une première fuite de son élément précieux, atteignait la surface de son fondement, tandis que le bœuf enfin, à force de fatiguer le chambranle, vit que celui-ci commençait de fumer.
 – Dépêche! Dépêche, le bœuf!
 – Voilà! Voilà, voilà, ça fume, ça fume, ça fume!
 – Le bœuf dépêche, dépêche, je lâche, je lâche, je lâche tout et vlan!

Le bois fumant produit la première flammèche et l’âne, fléchi sur ses pattes avant, déchargea en même temps sa puissante lance méthane contre le chambranle!
La grange éclata en un puissant incendie, qui en peu de temps consuma tous les box, les pieux d’attelage, l’horrible chambre d’abattage aux masses sanglantes, les peaux, ces stupides trophées cloués au-dessus des portes. Tout disparut en moins d’une heure, des années d’humiliations et de souffrances, libérées en gros panaches lourds et gras obscurcissant le ciel! Les hommes au sol, criant, implorant les mains jointes, ces cieux qui aux centuples noircis de crimes et désormais sourds aux jérémiades, empêchaient la lumière de parvenir au sol. Sans compter l’horrible puanteur qui régnait aussi à des kilomètres à la ronde, comme si cent mille milliards d’œufs pourris s’étaient abattus sur la campagne… Justice était enfin rendue!

L’âne et le bœuf s’enfuirent de l’endroit, aussi vite qu’ils purent, l’âne bien en avant, car, comme il lui restait encore pas mal de gaz en réserve, il en avait accumulé tant et tant, que celui-ci continuait d’agir comme une comète, le faisant galoper à triple allure. Il ne pouvait s’arrêter! Chaque fois que ce dernier tentait de freiner, c’est l’effréné qui prenait le dessus. Son arrière-train commandait, pas moyen de contrer la vitesse!
Finalement, c’est tout essoufflé, tentant de reprendre ses esprits par-delà plusieurs horizons franchis, que l’âne épuisé, mais sain et sauf, tomba au sol comme une masse. Le bœuf, loin en arrière, mit plus d’une demi-journée à suivre les traces de son compagnon pour enfin le retrouver plongé dans un sommeil réparateur. Quelle aventure! Personne ne pourrait plus les poursuivre, ils étaient bien trop loin, et avaient gagné bien trop d’avance aussi.
 – Et maintenant que tu as fini tes âneries, dis le bœuf à l’âne, on fait quoi, où va-t-on?
 – Et toi maintenant que tu en as assez de toutes ces boeufries, que comptes-tu manigancer?

Ils n’eurent pas le temps de finir leurs phrases, qu’un étrange personnage se présenta devant eux. Grand, musclé, pas vraiment un homme, pas vraiment une fille, pas vraiment un animal non plus. Cependant massif et puissant. Aucun des deux animaux ne l’avaient entendu venir.
 – Ben ça! Qui êtes vous donc, vous? fit l’âne tout ébaudi.
 – Eh dont! D’où venez-vous ainsi, fit le bœuf tout surpris…
 – Je vois que vous vous complétez bien tous deux! Que diriez-vous si je vous confiais une importante mission?
 – Une mission fit l’âne? De suite? Nous venons à peine de gagner notre liberté, qu’il faudrait déjà que l’on se fasse engager par un autre seigneur, qui nous réduirait lui aussi en esclavage. Jamais!
 – Quelle mission, reprit le bœuf? Nous courons à peine librement sans licol, que vous voudriez déjà nous remettre au joug, la tête contre terre, à recommencer le labours des humains? Que nenni! C’est à eux qu’il revient de travailler à la sueur de leurs fronts. Nous n’avons rien fait pour mériter cela, ni de finir sous le couteau du boucher!
 – Je comprends parfaitement votre rancœur, reprit l’étrange personnage. Mais ce Maître-là, ni ne vous fera besogner sous les coups, ni ne vous soumettra en esclavage. Bien au contraire, il vous libérera définitivement de toutes ces malédictions et vous redonnera vie au lieu de l’enlever. Mais il aurait besoin de vous, juste quelque temps.
 – Qui nous dit que tu dis vrai? fit l’âne interloqué.
 – Oui, qui nous dit que tu es sincère? reprit le bœuf sur la même lancée.
 – Vous le verrez à l’usage, vous ne regretterez rien! Et de plus, personne ne vous obligera à pousser trop vite votre cadence à coups de fouets ou d’éperons. Vous pourrez changer d’avis si, pour une raison ou l’autre, le voyage ne vous convenait plus, ou que vous soyez trop fatigués à le poursuivre. Alors?
 – Et où se trouve-t-il ce Maître, poursuivit l’âne?
 – Combien de lieues devrons-nous parcourir, pour le rencontrer, interrogea le bœuf?
 – Ce Maître n’est pas encore né, c’est pour cela que je vous ai intercepté maintenant. Il le sera à peine lorsque vous serez arrivé sur place.
 – Ah, fit l’âne… Vous êtes un bien drôle de luron! Travailler pour un maître qui n’existe pas?
 – C’est du plus haut comique, reprit le bœuf. Puis une fois né, je me demande comment il fera pour nous donner des ordres, s’il ne sait parler…
 – Vous raillez trop, vous deux! Ceci n’est pas gage de bonne fortune. Une fois né, il ne vous prendra qu’un petit mois ou deux de votre existence, et vous rendra par la suite, comme je vous l’ai dit, la vie éternelle.
 – Quelle gage de bonne foi vous donnez-nous? Qu’est-ce qui fait que nous pourrions vous croire plus qu’un autre?
 – C’est bien cela qui me déboute, repris le robuste interlocuteur. On voit bien que vous êtes restés trop longtemps au service des hommes. Vous avez fini par être bornés d’œillères, en ne croyant que ce que vous voyez. Alors, regardez…
Une lumière intense se produisit autour du personnage, qui semblait soulevé du sol par d’énormes ailes. Les deux compères sentirent leurs poids dédoubler, alors qu’une paralysie totale les clouait au sol…
 – Alors? Vous en faudrait-il plus, ou cela vous convient-il suffisamment? 
 – Ah, dit l’âne. Je ne sais qui vous êtes, mais je n’ai encore jamais vu de luciole pareille!
 – Oh! fit le bœuf. Je n’avais encore pas assisté à quelque chose de semblable. Rien à voir avec les vulgaires feux d’artifices que font les hommes, qui puent gravement et effraient tous les animaux de la ferme. Mieux que toi tout à l’heure, hein l’âne?
 – Alors, dit l’étrange apparition, est-ce que je peux compter sur vous, oui ou non?
 – Qu’en penses- tu l’âne?
 – Non, toi le bœuf? Comment l’entends-tu?
 – Dépêchez-vous, reprit la présence! Je n’ai pas que ça à faire.
 – C’est entendu! Nous ne risquons rien, fit le bœuf, moi et mon compère, la seule chose qu’on veut, c’est d’être une fois pour toutes débarrassés de la gente humaine.
 – Dites-nous comment procéder, reprit l’âne. Mais si vous pouvez accomplir de tels prodiges, il faut en échange que vous nous protégiez le long du chemin.
 – Ce n’est pas mon rôle, je ne suis pas Ange gardien. Mais vous recevrez de l’aide par ceux que cela concerne tout spécialement.
 – Devrons-nous parcourir une longue route? fit l’âne un peu dépité.
 – Longue, ça dépend comme on l’entend… Jusqu’en Judée.
 – Quoi, dit le bœuf? En Judée? Mais comment trouverons-nous le chemin? Et l’endroit où nous devrons nous arrêter?
 – Vous regarderez le ciel, du côté de Cassiopée. Vous y trouverez un point lumineux, un peu plus gros que les autres, avançant à vitesse moyenne. Vous n’aurez qu’à toujours le suivre, sans le lâcher une seule fois du regard, jusqu’à ce qu’il s’arrête. Quand ce moment-là sera arrivé, c’est que vous serez parvenu à coup sûr, à l’endroit voulu.
 – Et s’il y a des nuages et qu’il pleut? Comment ferons-nous pour suivre l’étoile, reprit l’âne de plus en plus inquiet.
 – Vous me parlez d’étoile. Moi je vous parle de point lumineux. Tout le monde interprète les choses à sa façon. Même au travers les nuages les plus épais, celui qui veut, verra toujours poindre la lumière.
 – Mais quand même, si nous ne voyons point poindre…
 – Ecoute l’âne! Si vous vous êtes libérés ce jour, par un procédé que je qualifierais d’un peu extrême, pour ne pas dire plus, c’est qu’il y avait une bonne raison. Et cette raison est celle pour laquelle vous vous engagez. Ne me demandez pas de vous en dire plus! Chacun vient vous conforter selon le rôle qui lui est imparti. Le mien fût celui de vous mettre sur la route. Alors je vous conseille vivement de faire diligence à ma requête, sans quoi vous retomberiez illico sous domination humaine.
 – Comment faire diligence, argua l’âne courroucé. Ni diligence, ni carrosse, ni charrue, ne continuerons-nous à tirer, on vient de vous le dire…
 – Ah l’âne, reprit la lumineuse apparition. Puis regardant le bœuf: voici d’où viennent toutes les confusions! Confusions d’idées, confusions de langages, confusions d’esprits. Vous interprétez vilainement ce qui est dit, selon vos propres compréhensions, et vous détournez tous les principes de base de leurs fonctions premières. Voici le drame des êtres mortels. Ils chutent eux-mêmes dans leurs propres boues.
 – Propre la boue, fit le bœuf, c’est vous qui le dites!
 – Ce que vous arguez reprit la Lumière, corrobore à ce que je viens d’énoncer! Allez, mettez-vous en route afin d’accomplir une haute tâche, et vous ne serez par la suite, plus jamais assujettis à quoi que se soit, parole divine.

La Présence fixa encore les animaux et dit avant de s’élever: «Un point lumineux dans le ciel, jour et nuit»! N’ayez crainte, les enfants ne font jamais la guerre.
Les ailes à contre-jour barrèrent l’horizon crépusculaire, et leurs érubescences se confondirent au feu final de l’Être plongeant dans l’azur, qui se referma lentement sur lui, laissant nos deux lascars tout penauds.

Le lendemain matin – car il fallait bien une nuit entière pour se remettre de toutes ces émotions – nos deux amis prirent le chemin, sans bien comprendre encore ce qu’il leur arrivait. Ils devaient se rendre jusqu’au talon de l’Italie, puis prendre une grosse Trirème. Mais comment peuvent passer inaperçus un âne et un bœuf vadrouillant solitaires, bien qu’à deux?
Suivre sa bonne étoile. Elle était bien là, au dessus d’eux, alors que personne ne semblait l’apercevoir de jour, ni la voir dans les ténèbres, bien qu’extrêmement scintillante.
 – Curieux, curieux l’âne, que nous soyons les seuls à apercevoir cette merveille?
 – Surtout de nuit, reprit l’intéressé, car on ne peut la confondre aux autres…
Ils purent longer la Gaule, l’Helvétie, ainsi que toute l’Italie sans se faire le moins du monde remarquer; de plus, en y trouvant les meilleurs herbes à pâturer, toutes bien grasses et savoureuses.

Ils étaient donc seuls à voir et pouvoir suivre le point lumineux des cieux, demeuré masqué des autres habitants des pays qu’ils traversaient.
La crainte les tenaillait toujours, surtout en arrivant au port; la foule très dense se massait partout, il n’était guère facile de se cacher derrière un chien, en cas d’urgent besoin! Pourtant rien ne se passa de tel, bien que le bœuf maladroit renversait ça et là deux ou trois amphores ou caisses de fruits et légumes sur son passage… Cela devenait du plus haut comique ! Les gens, affolés, semblaient croire que les objets enchantés se déplaçaient de manière autonome!
Enfin, au bout du quarante deuxième jour, ils purent embarquer à bord d’un vaisseau large et généreux, ouvert à l’espace et aux vents, se laisser voguer sur les flots sans que cela ne pose le moindre problème, à condition de rester sage et silencieux le plus possible.

L’âne devait arrêter de jouer des tours pendables à l’équipage, en faisant voler les assiettes des tables d’un coup de patte, et le bœuf d’ouvrir et fermer les portes de cabines ou de claies avec ses cornes.
Le fait est que de voir tous ces marins jouer des muscles, pousser des cris effrayants de terreur et courir en tous sens, en croyant que des fantômes les poursuivaient, n’était pas sans divertir au plus haut point nos deux compères s’esclaffant de rires au sol.
Puis au matin du septième jour de traversée…
… Grand calme à bâbord et tribord, de la proue à la poupe. Le trirème était accastillé aux bites d’amarrage sans plus personne à bord, ni dans le port, ni dans les rues de la ville où ils étaient descendus.
 – Quel silence! fit l’âne. Après toutes ces péripéties, on dirait que les villes sont mortes, on ne voit que des animaux et plus du tout d’humains.
 – Ce qui n’est pas pour me déplaire, le bœuf! Enfin débarrassés de cette sale engeance.
Au soir du troisième jour de marche, au-dessus d’une étable, alors que la lune jouait de toute sa clarté, en réplique au point de Cassiopée, ils virent une lueur sortir par les brèches de la vieille porte vermoulue de cette étable.

Des animaux tournaient et retournaient tout autour, les buissons odorants entourant les contreforts, tous baignés de lactescences, diffusaient une forte odeur de romarin et de camphrier.
Il faisait tiède, une brise singulière poussa la porte de la vieille étable, avec bienveillance.
La quiétude qui s’en dégageait poussa nos deux amis à se rendre compte par eux-même de quoi il en retournait.
Un homme montait la garde, droit et noble, renforçant ça et là une solive risquant de s’effondrer au-dessus d’une pitoyable mangeoire emplie de paille.
La femme, recouverte d’un voile que la fraîche rendait pudique, s’épanchait au-dessus d’un enfant qui pleurait, nu, à l’intérieur de ce rêche habitacle. Il avait froid. Tandis que l’homme consolidait cet abri de fortune, la mère raffermissait la chair de l’âme devenue Fils, et qui était descendue habiter ce petit corps, aussi dérisoire que démuni.
L’âne et le bœuf ne sentaient plus leurs poids, ni aucune fatigue liée aux jougs de ce bas monde.

Alors, forts de leurs instincts, l’âne et le bœuf vinrent respirer les exhalaisons pures de l’enfant né, tandis que la nuit profonde du monde ignorait encore tout de lui, mais révélait aux bêtes, aux âmes simples, l’invisibilité profonde de l’Être, ainsi que l’amour universel destiné à l’humanité.

 Luciano Cavallini, membre de l’Association Vaudoise des Ecrivains, (AVE)
© Luciano Cavallini, novembre 2014, Contes de Noël pour enfants. «L’histoire universelle des boeuferies d’un âne, et des âneries d’un bœuf» – tous droits de reproduction réservés.