Contes de noël pour enfants

L’écrivain montreusien Luciano Cavallini (qui nous gratifie chaque lundi d’une histoire fantasmagorique dans le blog “Terreurs et Angoisses de Montreux” – il reprendra en janvier) a écrit une série de 6 contes pour enfants, à raconter à vos enfants sans retenue. Nous commençons aujourd’hui. Il y en aura chaque lundi.

Paru le: 01/12/2014

HAGA-MIMNON, LE GROS CHAT PARESSEUX

Haga Minmon était un gros chat paresseux, qui passait la moitié de son temps à dormir sur le lit de ses maîtres. Gris tigré, le poil gras et ébouriffé, il trahissait partout et toujours ses délits de siestes, car on l’entendait ronfler à plusieurs mètres à la ronde. 

Balucharde, sa femme, une petite chatte toute blanche et délicate, devait sans cesse faire des pattes et des griffes, pour l’envoyer chaque matin accomplir sa besogne. 
Il rendait des tas de services aux autres animaux, tout le monde l’aimait bien avec son air lourd, pataud, et son défaut de prononciation. Il n’avait cependant qu’un seul gros souci qui provoquait partout des catastrophes: la maladresse. 

Ce matin-là, comme tous les autres auparavant, Balucharde, déjà toute bien parée – robe à dentelles et col rose crocheté – s’approcha du divan et commença d’abord par le secouer avec précaution, mais en vain, rien ne se passa. Elle réitéra une fois le geste, puis encore, encore, mais toujours rien. Alors, avec sa patte, elle cogna le dessous du grabat, jusqu’à ce que l’ensommeillé daigne enfin ouvrir un œil.
 – Non. Non, non, Minoune, je dors encore…
 – Allez, bouge-toi un peu, on t’attend!
 – Ça fait bon dormir, hou! hou!
Refermant l’œil, les pattes sur le gras du ventre, il se mit à ronronner.
 – Il fait bon chaud. Mmmm, on est bien. Là, là je bouge pas! Zut alors! Enfin, ça, ça c’est quoi, ça …
 – Allez lève-toi gros paresseux, tu sais bien que tu dois aller servir pour les invités de la Dame Martre !
 – La Dame Marte! Oh pas elle! Tout, tout mais pas elle! Avec ses bonnes manières! À chaque fois elle me dit: «Attention à mon beau plastron, il faut pas le tacher, et à ma nappe blanche, puis les couverts, bien alignés bien droits, puis les fleurs, pas trop grandes sinon on ne se verrait plus, mais centrées en milieu de table… Et n’oubliez pas la pince à sucre»… Oh, non, non, non, veux pas y aller, pas y aller! 
 – J’ai compris Haga Mimnon, tu n’as pas besoin de répéter deux fois tes âneries!
 – Tu, tu sais bien, sais bien, que j’ai un fédau de non prociation !
 – Un quoi?
 – RRRo là! Un défaut de prononciation!
 – Tu parleras toujours assez! Maintenant et pour la dernière fois, lève-toi et vas-y! 

Alors le gros pelochon se frotta les yeux, il faisait pitié à voir, une des oreilles demeurait encore toute repliée, et les moustaches partaient dans tous les sens !
Il chaussa péniblement ses petites salopettes bleues, ses bottines un peu trop larges, et son chapeau lui cachant la moitié du visage. L’écuelle de lait eut de la peine à passer, et les croquettes retombaient toutes les unes après les autres dans l’assiette.
 – Ce que tu peux mal manger, lâcha impitoyablement Balucharde!
 – Ben c’est pas de ma faut ! Tu wohâ ma bouche, il faut que je l’ouvre en tournant, tournant la tête, comme ceci, ceci, si, si je veux pouvoir que ça descende au mi, mi, mi…
 – Miaoû?
 – Milieu!
 – Milieu! Milieu! On dit pas milieu, on dit: «mieux »! Ce que t’es pénible! Bon, vas-y, maintenant! Tu es sûr de n’avoir rien oublié?
 – Voyons, voyons… Mon petit sac, mes petites bottes, non, je ne crois pas.
 – Tout n’est pas si petit que ça, tu prendras toujours assez de place! Et tâche de faire un peu attention cette fois-ci, chez la Dame Martre!
 – Chez la Dame Martre, la Dame Marte! Il n’y en a que pour elle, par ici! 

Haga Mimnon se mit en marche de mauvaise grâce, traînant les pattes. A cause de ça, il usait ses semelles trop vite et il fallait toujours en racheter de nouvelles!
On le voyait tout le temps passer ainsi au loin, avec ses salopettes bleues et son chapeau biscornu, réglant une démarche nonchalante, afin d’économiser la fatigue.
Elle est plus là pour me surveiller la Balucharde! Là je fais comme je veux heu! heu!… Si je cueillais deux ou trois petits fruits sur le passage…
Évidement que l’infortuné chat, à force d’en faire à sa tête, finissait par arriver juste à l’heure, parfois même avec un certain retard… 

Finalement, il vit poindre la maison de la Dame Martre, toute bien entretenue, son allée de graviers égalisés, sa façade blanche, ses fenêtres aux volets rouges, et son toit de tuiles ressemblant à des biscuits. Il y avait déjà du monde à l’extérieur, il arrivait fort à propos ! Espérons que tout se passe bien! 

En grande tenue violette, bien cintrée à la taille, arborant son fameux plastron immaculé qui cependant godait un peu – vu la manie qu’elle avait de le rajuster discrètement avec la patte – Madame Martre s’employait à demeurer la plus élégante de toutes ses congénères. Aussi confectionnait-elle les plus succulents hors-d’œuvre des alentours, servis dans les porcelaines les plus fines. Tout devait être raffiné, subtil, de goût, ne se trouver nulle part ailleurs. Contrôlant le moindre déroulement du service, elle héla Haga Mimnon, qui venait d’arriver sur le perron, non sans s’être fait déjà remarquer…

 – Bonjour mon cher! Eh bien, il était temps! Quelles sont donc ces taches sur votre salopette? Ce retard voudrait-t-il dire que vous maraudiez encore sur le chemin?
 – Euh, non… C’est, c’est, pas ça… 
 – Oui, je voiaaa… Encore pataud, à ce jour! Alors écoutez-moi bien… vous pouvez prendre tout ce qu’il se trouve en cuisine – m’écoutez-vous, à la fin! – et disposer l’ensemble sur la table du salon. Ce ne sera pas trop difficile? Ensuite, attention: les petits pains à droite, ainsi que les verres à pied, les autres, pour l’eau, sur la gauche. Les serviettes devant les plats, pour les services, assurez-vous que l’argenterie brille de tous ses feux! C’est tout, vous pouvez disposer! Eh bien, que restez-vous planté comme une souche! 
 – C’est que, que, que… on est combien à table? 
 – Comptez dans l’assemblée enfin! Un peu d’initiative! Et ne vous incluez pas dedans, s’il vous plaît! S’il reste quelque chose, éventuellement vous laissera-t-on grignoter un petit quelque chose! Uuuuuuh! Ne m’approchez pas avec vos pattes sales, mon plastron, enfin! Disposez maintenant! 
 – C’est c’est, c’est, que, que… 
 – Quoi encore, on ne vous comprend jamais! 
 – C’est mon fédeau de non prociation qui… 
 – Allez et faites ce que je vous ai dit!
Mais quelqu’un d’autre passa par là, inopinément, parmi les invités. 
 – Permettez que j’interfère? Leloir, c’est moi. Pardonnez. Je vois que je vous entrave jusqu’au fond du couloir. 
 – Ça, ça c’est quoi ça ? 
 – Je dis: Leloir c’est moi. 
 – Je vois bien que vous êtes un loir! D’habitude je les mange! 
 – Je pouffe! Que de vindicte! Un loi ! Moi! Je suis « Monsieur » Leloir! Et mon nom n’a de plus haut, rien qui n’y puisse autant prévaloir! 
 – Je comprends pas ce jargon, je ne suis là que pour servir la Dame Martre! 
 – Ah, devrais-je dire! Et moi pour goûter à ce merveilleux après-midi! Ce que j’argue avec force et méthode! 
 – Comprends pas! Oh, pardon! Dééésolé… 
Haga Mimnon transportait du sucre glace, lorsqu’un peu de celui-ci saupoudra la queue de pie de Monsieur Leloir. 
 – Huhuuuu, c’est un peu rigolo, ho! ho! 
 – J’interjette! Si fait, si fait, ceci n’est pas du plus bel effet! 
 – C’est que je savais pas comment c’est qu’c’était avant, que je sache que c’était déjà ouvert! 
 – Ah! Mots tordus, mots foutus! Attention… Voici les autres, et je devrais, pour être tout à fait poli, disposer d’une chaise en même temps que les convives, dois-je vous aviser… 
 – Aviser… Z’êtes pas obligé de dire que c’est vous qui dites ce que vous faites! 
 – Quel excès… Je n’en puis souffrir davantage, de ce langage on ne peut plus blessant et qui… 
 – C’est mon fédeau… 

A ce moment là, tous les invités, cérémonieusement, se retrouvèrent placés aux bons endroits. De loin, avec ses besicles, son nez pointu, le tremblement sourd de ses babines, la Dame Martre semblait contrôler la situation. Elle semblait…

Tout se passa sans accroc jusqu’au moment du dessert, mais, insidieusement… Un peu de sauce foncée avait giclé sur le Smoking de Hökè, la pie scandinave faisant commerce de bijoux, mais cela passa inaperçu. Haga Mimnon se gaussait de tout, et trouvait drôle cette petite protubérance caillée, placée juste au bon endroit! 
 – Huhuhu! Encore un de perdu! 
 – Pardon, oserais-je interférer? Moi, Leloir, pourrais-je avoir encore avec ce restant de crème, un de ces merveilleux boudoir? 
 – Non ! Non, non, je boude pas! 
 – C’est à n’y pas croire! De vous que prévaloir! Bouder n’est pas un vice, mais ici un biscuit! 

Il restait encore à servir: Le couple Furet, toujours à vide et avide, Hêkè et Hökè, les fiancés pies, la Dame Martre, puis, en dérober la moindre, mais en cachette, en trempant les pattes dans les saladiers et autres précieuses coupelles! 

Haga Mimnon! Il jurait la moindre, avec ses salopettes bleues, et leurs bretelles finissant toujours par se détendre! Car, lorsque son torse de minon «ébourriffon» venait à bâiller, cela n’était pas sans produire un certain effet, dans un salon meublé de porcelaine, dentelles et autres objets rares!

La bonne crème chocolatée parvint devant la Dame Martre qui, tout heureuse, salivait déjà au-devant l’agréable perspective qui l’attendait. 
Oui! Une martre ça salive, un loir aussi d’ailleurs! 
Sans plus attendre, Haga Mimnon trempa la grosse cuiller dans la victuaille, lorsque… 
Lorsque celle-ci lourdement chargée fit volte-face, et, par geste désespéré de rattrapage, se détendit comme une catapulte, sur le plastron de l’infortunée Dame Martre!
Il n’y eut pas un mot. Silence total dans la petite maison aux murs blancs et volets rouges. 

Le couple Hêkè – Hökè, n’était pas ok, Les furets furetaient ailleurs, et Leloir, ne pensait qu’à une seule chose: arriver coûte que coûte sain et sauf, tout au fond d’un boudoir! Quand à Haga Mimnon? Il se marrait en douce tout au fond du bidon! Non. Il se bidonnait en retrait sans fondements ni raison.

Hiiiiiiiiiiïiiiiiii !!!!!!! Mon plast, mon plast, mon plast…. Hiiiiiiie
Ça partait pas mal dans les aigües une martre… Au point que l’ensemble des invités s’en trouvèrent fort indisposés!
A part Leloir et les Furets, bien sûr… 

Haga Mimnon, affolé, s’élança en cuisine à la recherche d’un chiffon, puis revint dare-dare torchonner l’infortuné frottis! Mais ce fut pire! Plus il appuyait, plus cette dernière s’étendait, vous pouvez bien l’imaginer! Et notre martre de crier, crier… 
Avant ça godait, maintenant ça allait croûter! 

Rien n’y fit, Haga Mimnon se trouvait coi, sans savoir comment, parfois même un peu penaud. On entendait les autres convives s’insurger sur l’allée, mêlant les mots, les chuchotis, avec les trépignements de pas sur le gravier. 
– C’était vraiment le comble de la maladresse… disaient-ils désopilés! 
La Dame Martre se trouvait mal, les poils collés sur le tissu de ce fameux plastron. Aussi, lorsqu’on l’eut délivrée enfin de ce bouclier gluant, il ne lui restait quasiment plus aucune fourrure sur le poitrail! Il fallut la coucher, lui porter un grog pour la calmer, fermer les persiennes. 

 – Avant ça godait, se lamentait-t-elle… Mais maintenant, maintenant, ça fera quoi? 
Que dirait Balucharde, en apprenant une chose pareille! 
Leloir fouinant toujours dans la pièce, alors que les autres furetaient plus loin, s’approcha du malchanceux matou, et lâcha plaintif: 
– Souffrez que je vous raccompagne, la fête est finie. Sachez, je vous le dis.
 Attente. 
 – Ben, ben, ben, dites-le! 
 – Plaît-il? 
 – Ce que vous avez à… avez à… avez à dire! Dites-le donc! 
 – Je m’insurge! Je viens de le verbaliser: souffrez que je vous accompagne, la fête est finie! 
 – Ah c’était ça… 
 – Je vous le dis! 
La saucée se poursuivit à la maison! Forcé de se laver partout, Haga Mimnon pensait que désormais rien ne l’empêcherait plus de tout arrêter, afin de trôner à journées pleines sur son confortable divan. 

C’était sans compter Balucharde. 
Et autres désenchantements de lendemains! 
Que voulez-vous: les déboires sont renversants! 

Luciano Cavallini
Membre de l’Association Vaudoise des Ecrivains,(AVE)
© Luciano Cavallini, novembre 2014, Contes de Noël pour enfants. «Haga Mimnon, le gros chat paresseux » – Tous droits de reproduction réservés.